Affichage : 1 - 10 sur 24 RÉSULTATS
Chroniques

*Le pain des français*

« Zohra, au fond tu ne sais pas mourir comme moi je ne sais pas vivre… »

« Le pain des Français » de Xavier Le Clerc ou le levain de la mémoire…

« Dans les sous-sols du musée de l’Homme à Paris, sont emmagasinés des milliers de crânes indigènes. provenant de collections du 19ème siècle. Le narrateur, Xavier Le Clerc lui-même découvre parmi ces cartons empilés le crâne numéroté d’une fillette kabyle de sept ans, qu’il appellera Zohra. Il tentera d’imaginer sa courte vie, lui racontant en retour ce qu’a été la sienne. ».

Il y a bien sûr la venue en France de ses parents… les silences, le travail, les joies, les offenses…

Mais Xavier Le Clerc écrit un livre d’amour. Cet amour entier qu’il voue pour la France. Pour tout ce que la France lui a apporté. Pour école de la République qui lui a permis non seulement de devenir libre et d’avoir un métier qu’il aime, mais aussi de ne plus jamais accepter l’offense au nom du pain. 

Et l’amour authentique donne le droit de poser des questions. Il donne le droit également de raconter un peu de sa vie, de raconter les images d’un « lointain ».

Zohra  ne sait pas qu’elle est dans un musée. Que son crâne est venu de Kabylie comme une curiosité…

Alors Xavier Le Clerc lui raconte la douceur de l’air de là-bas, la beauté du crépuscule, les fleurs, la montagne et le soleil :

• Zohra, à peine endormie, tu retrouves le crépuscule des montagnes, l’ardente lumière et l’odeur de résine mêlée aux arômes brûlés des lentisques. Je te vois dévaler pieds nus les sentiers caillouteux. Au creux d’un vallon rougeoyant, tu virevoltes, éblouie, les bras grands ouverts. Tu danses comme pour nous consoler, la tête levée vers le ciel en feu… (extrait)

Et la voix de Xavier Le Clerc se fait de plus en plus rauque…

Elle remplit l’espace et le temps… elle est immense cette voix et elle tonne d’un bouleversant  aveu :

• Zohra, au fond, tu ne sais pas mourir comme je ne sais pas vivre…

Oui Zohra, tu ne sais pas mourir comme Xavier Le Clerc ne saurait pas vivre sans terminer de raconter une histoire où le pain serait au centre d’une table, une table d’amour où tout le monde serait peut-être rassemblé et c’est ce peut-être qui ébranle…

Xavier Le Clerc , * Le pain des Français* (Gallimard)

Le titre est l’offense faite au père chez le boulanger…

Chroniques

*Suites indiennes* ou l’Inde en clair-obscur

« À la faveur de je ne sais quelle épiphanie sensible, il arrive que le regard migre à l’intérieur du cœur, lequel se déploie et fleurit… »

Il y a des livres  qui nous débordent, nous submergent.

Avec *Suites indiennes*, Elisabeth Barillé ne nous offre pas un récit de voyage, mais un lent détachement vers l’essentiel.

Il s’agit de l’Inde bien sûr.  L’Inde un pays saturé de récits. Trop souvent, elle est réduite à un cliché de couleurs, d’odeurs, de chaos sacré. 

Dans *Suites indiennes*, Élisabeth Barillé prend un contre-pied radical : elle écrit l’Inde en sourdine, dans les blancs, les silences, les gestes retenus. Le livre agit comme un encens discret : il ne cherche pas à imposer, il flotte, il imprègne.

Au fur et à mesure de la lecture, nous comprenons  qu’une femme est en marche. Au fur et à mesure de notre lecture, nous comprenons qu’elle se défait, elle s’allège… pour mieux avancer. Pour mieux entrer dans le paysage

L’auteure ne triche pas. Elle s’en remet au réel de l’Inde, à sa violence douce, à son rythme hors du temps. 

Elisabeth Barillé a le sens du fragment. Elle écrit comme on dépose une offrande. 

*Suites indiennes* est un livre exigeant dans son dépouillement. Il ne cherche pas à séduire. Il n’explique pas l’Inde, il la murmure. Il nous désarme. 

Et peut-être, est-ce cela la vraie littérature du voyage… 

Extrait :

« On voyage depuis son tempérament, et en lui. L’enthousiasme domine le mien.

Qu’y puis-je s’il m’accompagne depuis mes premières nattes, si les épreuves, les échecs, les déconvenues, ne l’ont pas entamé ? Qu’y puis-je si m’enchantent mille et un petits riens ? Je suis ainsi faite : dans mon cœur cohabite une ascète et une frivole enfant.»

Elisabeth Barillé, *Suites indiennes*, Editions Des Instants.

Chroniques

*Au-delà du tableau*

On ne remonte pas au jour sans passer par un face à face avec soi. On ne réapprend pas à parler sans accepter de regarder ce qui a été éraflé..

Dans le magnifique roman de Céline Posson-Girouard (Celine GIrouard), *Au-delà du tableau*, ce qui a été éraflé, c’est l’adolescence de Lysia, le personnage principal du récit.

Une adolescence en deux temps. Un temps avec le père bien aimé qui meurt et un autre avec le nouveau compagnon de la mère. Un homme sans foi ni loi et qui poursuit de ses assiduités l’adolescente de quinze ans.

Céline Posson-Girouard  raconte au plus près la vie de cette toute jeune fille, ses angoisses, l’avenir si perturbé déjà. 

Les études vont la sauver. Lysia prend conscience du formidable pouvoir de la peinture.  Du pouvoir de créer.…  se « recréer ».

Et puis, sa rencontre avec un peintre. 

L’art, l’amour, les rencontres font céder peu à peu le silence de Lysia. Tout doucement, elle se réinscrit dans le creux du monde. 

*Au-delà du tableau* (et non Au-delà des murs) est un récit bouleversant. Et la question soudain : 

– A quelle distance de ses personnages se trouve l’auteure ?

Nous saurons simplement que le Perche natal et ses paysages  ne sont pas bien loin. 

Plus qu’un livre, Céline Posson-Girouard nous offre un magnifique récit sur le silence, les brisures et la rédemption. 

Et puis, des images ruisselantes de beauté, de poésie, ainsi :

– Installées sur le banc de bois ancien, Estelle et sa fille écoutèrent le chant des pinsons ; leur cadence répétitive, mélodieuse les berçait ; au concert des oiseaux, un bouvreuil, perché sur la plus haute branche des seringats, lançait ses trilles en soliste…

Céline Posson-Girouard, *Au-delà du tableau*, Éditions Ex Æquo

Chroniques

*Crever la nuit*

Vol de nuit…

Dans *Crever la nuit*, Philippe Colmant sculpte son insomnie. Elle porte un constat. Une attente. Des heures.

 L’écriture serrée, tendue comme une montre qui bat trop fort dans le silence. Les heures s’étirent, et avec elles, le vide. 

Le “je” et le “tu” essaient de combler le manque du “nous”, cette absence centrale qui pulse dans chaque page.

Tout commence à 21h06 et déjà l’aveu :

– Quelqu’un a renversé la nuit…

– Cent mètres carrés de solitude, c’est beaucoup. C’est trop.

Une robe bleu nuit traverse le livre comme un fantôme, vêtement de l’autre, de l’amour parti ou défait. 

Et le temps devient matière. 

La nuit, interminable est ici personnage principal, muse sombre d’heures scandées.

Philippe Colmant cisèle des phrases d’urgence dans une lenteur imposée. Chaque mot est pesé, chaque silence entendu. Les illustrations, sombres, épaississent encore cette “œuvre au noir”, ajoutant  à l’asphyxie ambiante.

L’insomnie n’est pas juste une veille, un manque à dormir. C’est une vie qui défile. 

La lampe allumée pour ne pas rester seul dans le noir. 

Mais la confidence tombe :

-Ton absence me noie…

Et  Philippe Colmant sculpte cette nuit, l’illustre de dessins… 

*Crever la nuit* est son « œuvre au noir ».

Nous saurons que :

– Quatre messages sont restés sans réponse…

Nous lirons également  :

– La paume de l’espoir me tend un embryon de poème…

Nous ne dirons pas plus. 

Ou alors peut-être un indice temps :

– L’aube se lève. Il est 6h33…

Philippe Colmant, *Crever la nuit*, Editions Le Coudrier (Collection Coudraie)

Chroniques

*Poudre de plomb*, un éclat dans la tempe…

« …Il n’y avait pas que toi dans la famille qui était fragile. Le monde de grands dans lequel nous avons grandi, était traversé de névroses qui agrégeaient aux talents intellectuels et artistiques, de graves carences identitaires. Alors, comme dans bien des familles françaises, ça buvait sec pendant les repas, mais pas que du très bon vin. Nous étions de sangs mêlés et de nationalités rassemblées. Il y avait aussi des alcools d’origines variées qui semblaient apporter la joie et les rires nécessaires à l’équilibre de ces adultes instables. J’ai traversé cette enfance en prenant l’habitude de voir les adultes compenser une espèce de vide intérieur. Toi et moi, nous posions un regard sans concession sur ces parents qui étaient censés nous sécuriser, nous protéger.Leurs transgressions nous autorisaient à les observer avec une pointe de cynisme candide, sans que nous ayons conscience des blessures que leurs inconséquences provoquaient à l’intérieur de nous… »

J’avais lu *La retenue* (éditions des femmes-Antoinette Fouque) de Corinne Grandemange Auteure.

J’avais lu entre les lignes… *La retenue* était de mise. C’était…le titre.

Dans *Poudre de Plomb* (Avallon et Co), Corinne Grandemange dit beaucoup. 

La retenue n’est plus vraiment de mise. Marie, la cousine tant aimée est morte de cette éducation « libre », ce non engagement des parents. 

Bien sûr, il y a toujours l’amour. Il frôle l’inconscience parfois. Il devient même sans « frontière ».

Les récits  de Corinne Grandemange sont d’une rare intensité. Peut-être les lourds et terribles secrets de famille. Peut-être les terribles silences qui se transmettent  de génération en génération. 

J’ai posé *Poudre de plomb* près de moi, sur un banc. Dans ce jardin où je suis en cette belle journée de printemps, des enfants jouent entourés d’adultes.

Le cœur lourd, je n’ai pu m’empêcher de penser combien d’entre eux souffrent à mon insu de silence, de secrets, de famille présentes/absentes et déstructurées. 

J’ai regardé à nouveau ce livre d’un bleu dérangeant et j’ai pensé à Corinne, à ses combats, à sa retenue, à sa façon aujourd’hui de raconter « Marie », de se raconter elle-même, un peu plus.

Et me sont revenus  ces mots magnifiques de Kenneth White :

– Pendant qu’ils sont tous occupés à leur plan d’avenir, à leurs bruyantes gesticulations sur la scène, je me tiens à l’écart sur mes hauteurs, tout seul, battant du vieux tambour de chaman…

Corinne Grandemange, *Poudre de plomb*,

Editions  Avallon & Co

Chroniques

*Les roses et les épines*

Rinaldi le corrosif, le tendre et le désenchanté…

Angelo Rinaldi et ses Chroniques littéraires, reprises dans un formidable découpage dans *Les roses et les épines* aux Editions Des Instants.

Angelo Rinaldi est romancier et critique littéraire, il a cette forme d’écriture luxuriante, poétique, âpre et toujours comme à chaque livre, il aime nous faire « lire/voir » les secrets de famille, les destins en coulisses, la « génétique » de l’auteur, avec ce qu’il considère parfois comme les tares, comme la facilité, les zones de confort…

D’autres fois, il est follement épris et de l’histoire et de l’écriture. Et il nous fait pénétrer un Éden caché, des personnages magnifiques et bouleversants.

Il ne sait pas écrire sans exagération qu’elle soit cinglante ou au contraire élogieuse.

Et puis, une fois le phrasé devenu marque de fabrique, il est difficile de changer… on perd des lecteurs, « des followers » 

dirions-nous aujourd’hui. 

Et nous retrouvons toujours ce même sourire , cette même hâte  quand on voit  le nom d’Angelo Rinaldi. Nous savons que ce sera jubilatoire… nous savons que nous allons nous émouvoir, détester, le trouver totalement injuste et puis sourire à nouveau. Il a touché en nous quelque chose d’enfoui qui s’émeut encore…

Et c’est seulement en lisant *Les roses et les épines*, aux Éditions  des instants que j’ai découvert combien Angelo Rinaldi est  plus tendre envers les femmes.

Était-ce une forme de tendresse ou d’admiration de les voir sur les terrains où certains se pensaient conquistadors ?

Bien sûr, Duras c’est « la Castafiore » et d’autres rares qu’il a fortement éraflées.

Bien sûr Colette, Yourcenar et d’autres qu’il a « follement aimées ». 

Mais dans l’ensemble, il les a épargnées. Surtout les contemporaines.

Ainsi Angot, Darrieussecq et d’autres qu’il aurait pu tenter de mettre au tapis. Certes, elles auraient répondu. Fortement ! Mais je crois qu’il avait en lui une forme de tendresse. Non pas de les préserver, mais ne pas en rajouter…

Son côté Corse ? Son côté Rinaldi le Magnifique ? Lui qui, sans tendresse, fait descendre Fitzgerald de la nuit…?

Dans  *Les roses et les épines*, ce formidable effeuillage entre « un peu, beaucoup, passionnément, à la folie et pas du tout », nous fait aller  droit au but… et puis toute la beauté de la page de couverture… 

Chacune, chacun ira chercher un nom, une critique, une interview…et gardera quelque chose…

Pour ma part, je garderai « beaucoup ».

Je garderai Tchekov*… pour Tchekov, pour la Cerisaie, pour :

 – La musique intime et poignante du quotidien. Le ciel dans l’encadrement d’une fenêtre de la Cerisaie. 

Angelo Renaldi, *Les roses et les épines* (Chroniques littéraires), Editions des Instants

*A propos de Tchekov, par Henri Troyat, Flammarion (1984)

Chroniques

*Une écharde dans la chair*

Chair à vif …

« Il y a des blessures qui nous forcent à descendre en nous-mêmes. Des blessures qui déchirent la chair, mais qui ouvrent le cœur. »

*Une écharde dans la chair*, de Réginald Gaillard, c’est l’histoire d’une vulnérabilité. D’un aveu de vulnérabilité. De vertige. D’une forme de folie. Charnelle l’histoire… terrible l’apnée, Sacrée et pleine de grâce  la remontée… 

Une femme est venue. Une femme s’en est allée. 

Et toute la souffrance de celui qui reste éclate. Elle tonne cette souffrance. Elle tonne la chair en manque. Elle tonne la descente aux enfers, elle tonne  la faim de l’autre :

– La nuit remue / elle me triture les tripes / elle me ramène à cette privation, toi que… 

Et toute la lenteur d’un temps vide, sans pitié :

– Tout résonne de toi, tout autour / sauf moi, instrument aphone / qui ne joue ni ne chante plus.

Et l’écharde continue de faire mal malgré les suppliques… et bien sûr on entend au loin l’apôtre Paul : « … Il m’a été mis une écharde dans la chair… ». 

Et Réginald Gaillard  continue son récit comme un séisme et ses répliques. Et vient enfin le moment où il consent…Où il accepte de faire face à ce soi ! Et il le déplie  en un formidable chant :

– Cette écharde, invisible aux yeux du monde, est le lieu même de ma rencontre avec la grâce. 

Toute la beauté de l’écriture de Reginald Gaillard. C’est un poète ne l’oublions pas. 

Ce recueil est également une quête. Une quête de pardon peut-être. Et la voix au fur et à mesure se fait grave pour appeler Celui qui doit entendre. Le rythme habite le recueil en entier. Les mots s’accordent à chaque frisson, à chaque manque, à chaque aube et soudain les mots rencontrent d’autres mots… et c’est la grâce… l’état de grâce…le miracle de la foi. 

« Le regard imagine une terre espérée, elle pourrait être une phrase,

– ou, mieux, un vers, un seul vers qui tiendrait, en suspens, entre nos lèvres »

Réginald Gaillard, *Une écharde dans la chair*, Editions de Corlevour / revue la forge 

Magnifique Préface de Michael Edwards de l’Académie française

Chroniques

*Le film du peuple*

« Au départ, j’avais envie de travailler autour de la banalité du mal, les petits crimes de tous les jours, la version euphémisée du mal. En littérature, il y a beaucoup d’affreux méchants avec du panache, mais la petite méchanceté quotidienne est moins travaillée »

« Le film du peuple de Christel Périssé-Nasr s’ouvre sur la fin du XIXe siècle. Fanette, qui officie comme bonne dans un château de campagne, se confronte à sa pénible condition de fille-mère,  d’une petite Cécile bientôt surnommée « la bâtarde ».

Le discrédit est tel qu’il hantera la famille sur cinq générations, jusqu’à fonder le mythe familial : celui d’une hypothétique ascendance aristocratique. 

Chaque maillon de la chaîne générationnelle va cultiver ce même désir de s’extraire de la gangue populaire et de gravir les marches de la réussite.

Un film, c’est d’abord ce que chacun se raconte – ou a besoin de se raconter. *Le Film du peuple*, c’est la somme de toutes ces histoires que les familles se transmettent de génération en génération, ces histoires dont elles savent taire savamment les secrets, les hontes et les reniements. 

C’est l’arbre généalogique du mérite et de la soif d’embourgeoise-ment, le spectacle immémorial, amer et acide du désir d’arriver, la description par le menu de ce que l’on désigne parfois par l’expression « transfuges de classe ». C’est une lecture implacable de la petite fabrique des déterminismes sociaux. »

Et quelle écriture pour raconter tout cela. Au scalpel…!

Christel Périssé-Nasr, *Le Film du peuple*, Les Editions du Sonneur

Ouvrage publié sous la direction de Marc Villemain

Conception graphique Sandrine Duvillier

En librairie le 13 mars prochain

Chroniques

*La vie ne suffit pas*

« Ce qui caractérise une intelligence de premier ordre, écrit Scott Fitzgerald dans son majestueux récit la Fêlure, c’est son aptitude à garder simulutanément à l’esprit deux idées contradictoires, sans pour autant perdre sa capacité à fonctionner.  On devrait, par exemple, être capable de voir que les choses sont sans espoir et pourtant déterminé à les changer. Cette philosophie était adaptée aux premières années de ma vie d’adulte, alors que sous mes yeux se réalisaient l’improbable, l’invraisemblable et même souvent l’impossible. »

C’est peut-être « l’explicatif » du récit magistral de Christophe Jullien 

« La vie ne suffit pas » aux Editions Humbird & Curlew 

C’est peut-être ce qui nous serre le cœur au fur et à mesure du « récit » de Christophe Jullien.

C’est peut-être ce qui nous consolera à la fin de l’histoire…

C’est peut-être un peu beaucoup de notre propre histoire chacun…

« Je ne serai pas héros » chantait Jacques Brel dans Zangra. 

Mais Marie Cendre l’héroïne deviendra légende….

Et combien nous aimons les légendes. 

On ne se pose pas la question de savoir à quel prix les histoires, les personnes deviennent des légendes.

« Quand la légende dépasse la réalité,on imprime la légende. » (John Ford – en exergue)

Chroniques

*N’oublie pas pourquoi tu danses*

«J’ai entrevu dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, en observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps. »

Ne croyez surtout pas que je me prenne pour Stravinsky. Mais lorsque j’ai découvert la lettre qu’il avait écrite pour annoncer son Sacre du printemps, j’ai rêvé à mon tour de raconter comment ce ballet m’avait mise au monde. Car c’est aussi mon histoire, ce Sacre du printemps, et celle de toute danseuse « élue» pour être étoile, autant dire pour mourir à la vie profane tant il faut de temps, de travail, de souffrances, d’échecs aussi, dont certaines, certains, ne se remettent jamais. Dans ce ballet, il est question du sacrifice de l’Elue, qui dansera jusqu’à mourir pour que toujours le printemps renaisse. C’est bien tout ce qui n’est pas la danse qu’on sacrifie, enfant encore, pour un jour peut-être se voir désignée comme la nouvelle étoile.

Et toute sa jeunesse aussi qu’on consacre à cette muse autoritaire, Terpsichore. La danse comme l’exige le ballet de l’Opéra de Paris est une discipline impitoyable où n’entre aucun des critères d’aujourd’hui. Elle porte haut les injustices de la Nature et du Destin, elle a sa part d’inégalités, de dureté dans ses lois, elle s’inscrit davantage dans les termes de la tragédie que dans ceux de la comédie dramatique.

Les vieux sages du ballet qui font cercle pour exiger le sacrifice ont des noms, je pourrais en citer d’autres encore : Marius Petipa, Léonide Massine, George Balanchine, Serge Lifar ou Rudolf Noureev. Leurs chorégraphies imposent aux corps des mouvements auxquels rien, jamais, ne les a préparés et, pour ce faire, un travail quotidien et une discipline d’acier. 

Mais c’est à ce prix que de génération en génération, d’étoile à étoile, la danse « classique » renaît à elle-même, d’elle-même par tout ce qu’elle brûle d’individus et de gloires, des gloires d’autant plus belles qu’elles sont éphémères – elles s’éteignent dès le rideau tombé et le corps au repos.

Mais tant que l’âme fait danser le corps, tant que la danseuse est sur scène, et l’étoile livrée à sa danse sacrale, alors quelle rémission des souffrances, quelle abolition des doutes, quelle joie, quelle fécondation du temps – quel printemps ! »

Aurélie Dupont

*N’oublie pas pourquoi tu danses*

« N’oublie pas pourquoi tu danses » d’Aurélie Dupont vient de recevoir le Prix Georges Bizet, récompensant le meilleur livre sur la danse.

Hier, avec des mots magnifiques, Stéphane Barsacq (merci à lui) évoquait « la route de ce livre » jusqu’à son édition et Le Prix Georges Bizet. 

J’avais lu ce livre. Et les mots d’Aurélie Dupont m’avaient profondément bouleversée.