Blog-Notes de Alain Hoareau

Yuja Wang, le clavier bien habité. 

D’aucuns retiendront peut-être un déshabillé de scène, d’autres peut-être une virtuosité couvrant la peur du vide, pour ma part je retiendrai une musique déshabillée de superflu et une poésie couvrant le temps de sa nécessaire intelligence. 

Ces préludes de Chopin qui ne sont rien d’autres que des portraits en mouvement, hallucinants, parfois hallucinés, des questions sans réponses, des élans inachevés et à mon avis se situant dans le plus intime et la part la plus sincère du compositeur, méritent bien cette spontanéité, cette émotion toujours à la recherche de la note,  puis de la note suivante,  comme « sans projet défini ». 

Je ne sais pas s’il aurait partagé mon avis, mais j’ai l’impression que cela correspond au propos d’André Gide dans ses *Notes sur Chopin*, je cite : « Chaque modulation dans Chopin, jamais banale et prévue, doit réserver, préserver cette fraîcheur, cette émotion presque craintive d’une nouveauté jaillissante, ce secret d’émerveillement auquel l’âme aventureuse s’expose sur des chemins non tracés d’avance et où le paysage ne se découvre que peu à peu. »

Bien qu’ayant beaucoup écouté Chopin durant mon adolescence, je ne suis pas un spécialiste en la matière, ( en aucune matière d’ailleurs ). Je ne sais pas ce que mes ami(e)s pianistes en penseront mais j’ai trouvé dans cet enregistrement en direct, un clavier bien habité. 

Ces préludes, qui curieusement ne préparent à rien, ne possèdent de sens que pour eux-mêmes, s’échappent du clavier comme des fragments de temps, fragments de vie, tous sens en éveils, voilà qu’ils me touchent plus que d’habitude, au sens figuré comme au sens propre au point de faire moi-même partie du voyage à l’intérieur de ces tableaux. 

Puisqu’il est question de tableaux, dans un tout autre registre, mais ô combien jubilatoire, n’hésitez pas également à l’écouter en replay sur Arte, rubrique Arte concert. Vous la découvrirez, si ce n’est déjà fait, entourée des œuvres de David Hockney. 

Une ode à la vie. 

Interviews

L’escale de Jeanne avec Aline Angoustures

« La nuit je mens / Je prends des trains à travers la plaine / La nuit je mens / Je m’en lave les mains /J’ai dans les bottes des montagnes de questions / Où subsiste encore ton écho… »*

 Une Escale de Jeanne  comme entourée d’un liquide amniotique…Une plongée dans un livre *Où subsiste ton écho* ( Éditions L’incertain).

Et puis le suicide de la mère d’un des personnages du livre.

Une thalasso pour reprendre souffle, sortir de l’apnée…

Une recherche du repos, de rédemption… 

Accepter cet espace de non lieu derrière le miroir…

Accepter sa vie… le seul espace à soi…

Et l’espace est ouvert…

Aline Angoustures peut continuer de chanter. Elle a dressé un bivouac. Son bivouac…

C’est l’écriture…là où la tente est plantée.

Nomade  oui, mais plus jamais errante…

Ni dans le suicide de la mère, ni dans l’échec peut-être de l’éducation du fils… ni …

Celle qui travaille sur le « Droit d’asile, celle qui est Historienne sait maintenant que quoi qu’il arrive, la vie refleurira. 

Pour ses personnages et pour elle…

– Aline Angoustures, *Où subsiste ton écho*, Editions L’Incertain

*La nuit, je mens*, Alain Bashung

Interviews

L’escale de Jeanne avec Gabriel Boksztejn

« Je crois que l’essentiel de nos vies se vit

complètement par hasard ;

on frappe à une porte au lieu d’une autre

et on reste parce qu’on n’ose pas partir.

Alors nous vivons une vie parallèle 

à celle que l’on pensait vivre

ni meilleure ni moins bonne, 

une autre vie,

et nous devenons une autre personne

que celle qu’on pensait devenir.

Mais la première part de nous même,

celle qui espérait frapper à une autre porte

et se rendre à un point précis de l’existence,

mieux en accord avec l’idée 

que l’on s’était faite de la personne que nous étions,

se croyant destinée à quelque chose de différent,

cette vie-là,

jadis possible, 

à la fois s’efface, comme la buée sur la fenêtre, 

et nous hante encore ; 

nous sommes ce lieu où existe aussi

ce qui n’existe pas… »*

Écrivain, Critique littéraire, aux manettes d’un podcast « Je tiens à cette virgule »

Une Escale de Jeanne aux confins de l’introspection…

Un agent double de lui-même Gabriel Boksztejn.

Passionnant, bouleversant et l’humour toujours…

*Gabriel Boksztejn

Blog-Notes de Alain Hoareau

À propos du film *Les musiciens*


« Pour qu’un quatuor joue juste, il faut que chacun joue un petit peu faux »

Cette phrase comme un raccourci du film. 

L’histoire commune de quatre instruments, quatre musiciens, un compositeur pris dans une sorte huis-clos pour réaliser le rêve d’un mécène décédé. 

Cette phrase comme une nécessaire et vitale adaptation. 

Film musical, magnifique métaphore, un résumé ou plus encore un concentré de vie, d’expérience de vie, d’expérience de soi et de l’autre. 

La trajectoire de ces musiciens que tout prédisposerait à ne pouvoir jouer ensemble, l’affrontement et la remise en question de soi, de son rôle par rapport à l’autre, jusqu’au compositeur lui-même qui retrouve une œuvre dont il a perdu le sens depuis la date de sa composition. 

L’objet instrument verra lui aussi à un moment donné sa remise en question. 

Sans rien dévoiler précisons tout de même qu’il s’agit de quatre Stradivarius réuni pour la première fois. 

Cette phrase comme pour dire qu’il n’existe de réelle beauté que dans l’exercice d’un équilibre. 

Un film qui inscrit avec justesse la musique au cœur du vivant, de l’acte quotidien comme de l’acte exceptionnel, 

Une phrase pour apprendre ou réapprendre. 

Les musiciens reconnaîtront leurs propres expériences les mélomanes sentiront d’un peu plus près la réalité de la vie musicale. 

Et puis cette phrase pour aboutir à cette autre :

«  Quand on regarde un quatuor, il joue. Quand on l’écoute, il danse. »

*Les musiciens*

Film de Grégory Magne

Chroniques

*Le pain des français*

« Zohra, au fond tu ne sais pas mourir comme moi je ne sais pas vivre… »

« Le pain des Français » de Xavier Le Clerc ou le levain de la mémoire…

« Dans les sous-sols du musée de l’Homme à Paris, sont emmagasinés des milliers de crânes indigènes. provenant de collections du 19ème siècle. Le narrateur, Xavier Le Clerc lui-même découvre parmi ces cartons empilés le crâne numéroté d’une fillette kabyle de sept ans, qu’il appellera Zohra. Il tentera d’imaginer sa courte vie, lui racontant en retour ce qu’a été la sienne. ».

Il y a bien sûr la venue en France de ses parents… les silences, le travail, les joies, les offenses…

Mais Xavier Le Clerc écrit un livre d’amour. Cet amour entier qu’il voue pour la France. Pour tout ce que la France lui a apporté. Pour école de la République qui lui a permis non seulement de devenir libre et d’avoir un métier qu’il aime, mais aussi de ne plus jamais accepter l’offense au nom du pain. 

Et l’amour authentique donne le droit de poser des questions. Il donne le droit également de raconter un peu de sa vie, de raconter les images d’un « lointain ».

Zohra  ne sait pas qu’elle est dans un musée. Que son crâne est venu de Kabylie comme une curiosité…

Alors Xavier Le Clerc lui raconte la douceur de l’air de là-bas, la beauté du crépuscule, les fleurs, la montagne et le soleil :

• Zohra, à peine endormie, tu retrouves le crépuscule des montagnes, l’ardente lumière et l’odeur de résine mêlée aux arômes brûlés des lentisques. Je te vois dévaler pieds nus les sentiers caillouteux. Au creux d’un vallon rougeoyant, tu virevoltes, éblouie, les bras grands ouverts. Tu danses comme pour nous consoler, la tête levée vers le ciel en feu… (extrait)

Et la voix de Xavier Le Clerc se fait de plus en plus rauque…

Elle remplit l’espace et le temps… elle est immense cette voix et elle tonne d’un bouleversant  aveu :

• Zohra, au fond, tu ne sais pas mourir comme je ne sais pas vivre…

Oui Zohra, tu ne sais pas mourir comme Xavier Le Clerc ne saurait pas vivre sans terminer de raconter une histoire où le pain serait au centre d’une table, une table d’amour où tout le monde serait peut-être rassemblé et c’est ce peut-être qui ébranle…

Xavier Le Clerc , * Le pain des Français* (Gallimard)

Le titre est l’offense faite au père chez le boulanger…

Interviews

L’escale de Jeanne avec Tylecek

« Tout objet aimé est le centre d’un paradis »

Novalis

Une Escale (avec le concours d’Alain Alain Hoareau) en couleurs, en émotions, une Escale dans un atelier :

Chez Tylek et Tylecek. Lui nous a quittés et elle continue de peindre, de se rappeler, d’avancer et de « voyager » entre Paris et Prague. Prague et Paris.

Il faut écouter Zdenka Tylecek nous raconter la vie en couleurs…

Magie d’une rencontre…

Chroniques

*Suites indiennes* ou l’Inde en clair-obscur

« À la faveur de je ne sais quelle épiphanie sensible, il arrive que le regard migre à l’intérieur du cœur, lequel se déploie et fleurit… »

Il y a des livres  qui nous débordent, nous submergent.

Avec *Suites indiennes*, Elisabeth Barillé ne nous offre pas un récit de voyage, mais un lent détachement vers l’essentiel.

Il s’agit de l’Inde bien sûr.  L’Inde un pays saturé de récits. Trop souvent, elle est réduite à un cliché de couleurs, d’odeurs, de chaos sacré. 

Dans *Suites indiennes*, Élisabeth Barillé prend un contre-pied radical : elle écrit l’Inde en sourdine, dans les blancs, les silences, les gestes retenus. Le livre agit comme un encens discret : il ne cherche pas à imposer, il flotte, il imprègne.

Au fur et à mesure de la lecture, nous comprenons  qu’une femme est en marche. Au fur et à mesure de notre lecture, nous comprenons qu’elle se défait, elle s’allège… pour mieux avancer. Pour mieux entrer dans le paysage

L’auteure ne triche pas. Elle s’en remet au réel de l’Inde, à sa violence douce, à son rythme hors du temps. 

Elisabeth Barillé a le sens du fragment. Elle écrit comme on dépose une offrande. 

*Suites indiennes* est un livre exigeant dans son dépouillement. Il ne cherche pas à séduire. Il n’explique pas l’Inde, il la murmure. Il nous désarme. 

Et peut-être, est-ce cela la vraie littérature du voyage… 

Extrait :

« On voyage depuis son tempérament, et en lui. L’enthousiasme domine le mien.

Qu’y puis-je s’il m’accompagne depuis mes premières nattes, si les épreuves, les échecs, les déconvenues, ne l’ont pas entamé ? Qu’y puis-je si m’enchantent mille et un petits riens ? Je suis ainsi faite : dans mon cœur cohabite une ascète et une frivole enfant.»

Elisabeth Barillé, *Suites indiennes*, Editions Des Instants.

Chroniques

*Au-delà du tableau*

On ne remonte pas au jour sans passer par un face à face avec soi. On ne réapprend pas à parler sans accepter de regarder ce qui a été éraflé..

Dans le magnifique roman de Céline Posson-Girouard (Celine GIrouard), *Au-delà du tableau*, ce qui a été éraflé, c’est l’adolescence de Lysia, le personnage principal du récit.

Une adolescence en deux temps. Un temps avec le père bien aimé qui meurt et un autre avec le nouveau compagnon de la mère. Un homme sans foi ni loi et qui poursuit de ses assiduités l’adolescente de quinze ans.

Céline Posson-Girouard  raconte au plus près la vie de cette toute jeune fille, ses angoisses, l’avenir si perturbé déjà. 

Les études vont la sauver. Lysia prend conscience du formidable pouvoir de la peinture.  Du pouvoir de créer.…  se « recréer ».

Et puis, sa rencontre avec un peintre. 

L’art, l’amour, les rencontres font céder peu à peu le silence de Lysia. Tout doucement, elle se réinscrit dans le creux du monde. 

*Au-delà du tableau* (et non Au-delà des murs) est un récit bouleversant. Et la question soudain : 

– A quelle distance de ses personnages se trouve l’auteure ?

Nous saurons simplement que le Perche natal et ses paysages  ne sont pas bien loin. 

Plus qu’un livre, Céline Posson-Girouard nous offre un magnifique récit sur le silence, les brisures et la rédemption. 

Et puis, des images ruisselantes de beauté, de poésie, ainsi :

– Installées sur le banc de bois ancien, Estelle et sa fille écoutèrent le chant des pinsons ; leur cadence répétitive, mélodieuse les berçait ; au concert des oiseaux, un bouvreuil, perché sur la plus haute branche des seringats, lançait ses trilles en soliste…

Céline Posson-Girouard, *Au-delà du tableau*, Éditions Ex Æquo

Blog-Notes de Alain Hoareau

À propos de *Granada* le dernier CD de Elsa Grether et Vizi Ferenc

L’embarquement est immédiat avec l’œuvre de Joaquin Nin qui ouvre le récital d’Elsa Grether et Ferenc Vizi. Un bourdonnement, un bouillonnement, un appel aux sortilèges qui s’achèvera en toute fin de disque dans l’apaisement de la berceuse de Xavier Montsalvage. 

Entre temps, des éclats de soleil aux mystères des fontaines, « les sons et les parfums tournent dans l’air »…

Et comme il est question de poésie, car comment concevoir la musique sans poésie et la poésie sans musique, un poète immédiatement m’est venu à l’esprit en écoutant cet enregistrement : 

Antonio Machado. 

Alors voici un un poème qui me paraît, mieux que toute critique ou analyse musicale rigide et froide, évoquer parfaitement le contenu de ce nouvel opus. 

« Le poète est un jardinier. En ses jardins il souffle une brise subtile avec des accords légers de violon, des pleurs de rossignols, des échos d’une voix lointaine et le rire clair de jeunes amants babillant sans fin.

Il y a aussi d’autres jardins. La fontaine, là, lui dit: je te connais, je t’attendais. Et lui, en se voyant dans l’onde transparente : À peine suis-je encore celui-là qui rêvait hier !Il y a aussi d’autres jardins. Les jasmins y regrettent déjà les verveines d’été, et ces jardins sont des lyres d’arôme, douces lyres que fait vibrer le vent froid.

Passent les heures solitaires et sous la lune pleine, les fontaines déjà soupirent dans le marbre, les fontaines chanteuses, et dans l’air l’on entend plus que le bruit de l’eau. »

Alors bien sûr on n’oubliera pas de dire aussi que le programme est virtuose, que le violon est virtuose, que le piano est virtuose, que les deux musiciens sont virtuoses. Mais ce qu’on  n’oubliera pas surtout c’est l’émotion du voyage qui restera dans ce silence si particulier qui suit la dernière note. 

Bien sûr il y a du brillant et du brillantissime : un Rodrigo qui semble jouer les Paganini ( comment ne pas penser à la Campanella » dans le dernier mouvement de sa sonate, un Sarasate semblant danser plus en diable que Carmen elle-même. 

Mais il y a  aussi ce Turina, qui m’est si cher, un déchiffreur de terre et d’âme allant directement à l’essentiel sans s’encombrer de fioritures inutiles. 

Et pour citer encore Machado :

« Tout passe et tout demeure, mais notre affaire est de passer, de passer en traçant des chemins des chemins sur la mer. » 

Quels magnifiques chemins Elsa Grether et Ferenc Visi nous offrent avec ce *Granada*