Chroniques

*Ressacs*

« Les mots ne se relèvent jamais de leur chute silencieuse… »

*Ressacs* d’Alexis Bardini (Sébastien Minaux) est un recueil d’eau…eau salée, eau douce…

Il y a la mer, il y a comme des gouttes de pluie qui tombent lentement sur la vitre. Très lentement et elles portent une enfance, une mère disparue, des ruptures et quelques épiphanies…

Il y a aussi le face à face d’un homme et de son ombre qui se parlent, qui parlent, qui se consolent peut-être de ce qui a été ou n’a pas été. 

Alexis Bardini semble écrire entre chien et loup :

« C’était le soir/ Et l’horizon lancait la vague au ciel

Un homme sur les quais/Tous ces chants de marin/Lui faisaient cortège

Il est lucide sur les mots, sur leur chute parfois irrémédiable :

« Les mots ne se relèvent jamais de leur chute silencieuse… »

Pourtant, des lucioles lumineuses éclairent aussi l’ombre. Des poèmes comme en suspension. Toujours ce goutte à goutte qui selon peut guérir ou assombrir.

*Ressacs*, comme ces vagues qui emportent et ramènent au rivage.

Alexis Bardini ne livre qu’une part de sa propre vague. Il ne livre qu’une sonorité qu’il nous laisse interpréter à notre guise.

Il sait que tout ce qui s’écrit sur le sable est appelé à disparaitre. 

*Ressacs* c’est comme un « je » qui apparait et disparait : 

« Dans mon pays de nage lente/La nuit tient ses assises/Sur de très hauts plateaux

Lorsqu’un homme se dresse, il est comme une épingle au fil du vent… »

Chroniques

Son odeur après la pluie

« Être aimé suffit à se sentir à l’abri… »

Ubac est revenu et avec lui « Son odeur après la pluie ».

C’était au Lucernaire. La Première au théâtre  de *Son odeur après la pluie* de Cédric Sapin-Defour (Editions Stock). 

Un spectacle écrit et merveilleusement mis  en scène par Véronique Boutonnet. Scéno et lumières par le talentueux Richard Arselin.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est IMG_9559-1024x768.jpg.

Et l’éblouissant jeu de Marie Hélène Goudet.

Frémissante, talentueuse et endurante  Marie-Hélène. Tenir, tenir jusqu’au bout des mots pour que l’amour et le manque envahissent l’espace…

Car c’est d’ une histoire d’amour, de vie et de mort qu’il est question.

C’est une histoire entre un chien Ubac et un « humain ».

Et puis cet après… et toute la provision de souvenirs qui permettent de tenir. Tenir en dedans et tenir dans l’espace…

L’espace, c’est ce lieu que Véronique Boutonnet voulait absolument « investir » non pas pour le comprimer mais pour  que l’amour, le temps heureux, les promenades, les griffures, les courses, la joie, le manque et les souvenirs puissent « vivre » pour toujours. Dans la forêt des jeux et des promenades de jadis 

Au pied de l’arbre où Ubac et joie restent « vivants ».

Quelle formidable élan d’amour que ce livre.

Quel formidable élan d’amour que ce spectacle !

Ubac a envie folle d’aller au Festival off d’Avignon. Véronique Boutonnet lui a promis de tout faire pour l’emmener… 

J’ai oublié de vous dire que Cédric Sapin-Defour est un montagnard, professeur de sport et écrivain.

J’ai oublié de vous dire que Véronique Boutonnet c’est « Les âmes libres »

J’ai oublié de vous dire que Ubac est un bouvier bernois. 

J’ai oublié de vous dire que cet après midi, m’est revenu un autre « Bouvier »… Nicolas…et son *Usage du monde*

« Cédric, Ubac, Véronique, Marie-Hélène, Richard » nous ont offert aujourd’hui le plus bel usage du monde : l’Amour !

Interviews

L’escale de Jeanne avec Alain Hoareau

« Est ce ainsi que les hommes vivent ? »

L’éternel questionnement à la fois nostalgique et plein d’espoir.

Et dans *Cendrillon, c’est moi*, d’Alain Hoareau, le temps semble s’immobiliser parfois, comme pour permettre peut-être un dénouement à l’histoire, à défaut, lui permettre une respiration. 

Un peu de clémence accordée à ces destins « chahutés ». 

Ici, la vie est tenue en lisière…

Et cette Escale de Jeanne, au galop, comme pour vite vite profiter du temps donné à chaque portrait… comme pour prendre le temps de s’émerveiller des ressacs dont parle Alain Hoareau. Il en parle avec humour, avec tendresse, mais toujours hanté par le sentiment inéluctable de la perte.

À la question :

– Vous consolez votre livre parfois ?

L’auteur  répond :

– C’est lui qui me console…

Blog-Notes de Alain Hoareau

En toutes choses, le rythme…

Après Carmen, il est maintenant (encore !) question du Boléro. Celui de Monsieur Ravel bien sûr.

« L’ennui naquit un jour de l’uniformité » écrivait Victor Hugo. Oui, mais là pourtant (encore) on est très loin de l’uniformité et surtout de l’usure !

En toutes choses, le rythme

Je serais tenté de dire : en musique tout est rythme.

Il y a d’abord la « pulsation », (disons le « tempo » pour simplifier), les cellules rythmiques elles mêmes ( blanche, noire, croche, etc ), s’agrégeant en formules plus ou moins complexes. Mais on peut considérer également le retour périodique d’une phrase mélodique, un enchaînement d’accords, les couleurs sonores, comme autant d’éléments rythmiques.

Merci Monsieur RAVEL

L’exemple le plus frappant de toute l’histoire de la musique est sans doute le fameux Boléro de RAVEL.

Considérez une formule rythmique, relativement courte, répétée inlassablement pendant 17 minutes ; un motif mélodique, simple au demeurant, repris lui aussi de la même façon et cela sans qu’à aucun moment l’attention et l’intérêt ne faiblissent.

C’est ici, l’ art orchestral de Ravel qui évite à l’oeuvre de tomber dans un ennui, dans lequel les moyens initiaux auraient dû l’y conduire : entrée successives d’instruments, soit seul ou par famille, dosage des alliances sonores, utilisation précise des qualités d’un instrument à un moment donné de la partition…

Un tempo inflexible, surtout pas de rubato, c’est une machine qui avance ou, selon sa sensibilité, un coeur en mouvement, mais régulier , terriblement régulier.

Ainsi l’oeuvre s’achève dans une apothéose que certains n’ont pas hésité à comparer à l’acte d’amour. Oui, l’acte d’amour est sans précipitation ! On peut le préférer autrement mais quelle déception au final…

L’acte de mort aussi est sans précipitation, car la mort est bien un acte ici, quand on suit pas à pas la cadence qui s’impose. Et au final quelle certitude…

Il est amusant de savoir que Maurice RAVEL considérait son oeuvre comme un simple exercice d’école et que tout élève selon lui était capable d’en faire autant. Laissons lui le droit de minimiser son propre génie, mais si cette partition caracole toujours en tête du hit-parade de la musique classique c’est qu’elle est bien l’exemple de réussite en matière de non-usure du rythme.

Exposition à la Philharmonie de Paris du 3 décembre 2024 au 15 juin 2025

Blog-Notes de Alain Hoareau

L’arène des passions, la reine Carmen…

L’opéra de Georges Bizet, Carmen, scandale et quasi échec à sa création, n’a depuis lors cessé d’enthousiasmer un public qui se presse toujours plus nombreux pour le voir, le revoir, l’écouter, le réécouter comme ce sera probablement le cas en janvier 2025 à l’Opéra Royal.

On peut raisonnablement se poser la question du pourquoi d’un engouement qui ne faiblit pas.

Que n’a-t-on dit de Carmen, la libertaire, la sauvage,  envoyée du diable ou le diable en personne, peu importe. Elle est femme avant tout. Libre ? Plus sûrement désireuse de liberté. 

Et Don José, éternel renonçant, éternel perdant, au paradoxe de la fragilité et de la violence. Il y a de tout cela bien sûr, comme l’attirance du fruit défendu, l’attirance d’un destin qu’on voudrait autre ou du moins sur lequel on aimerait poser une main ferme et directrice. 

Comme ils nous ressemblent ! et il n’y a que la distance de la scène qui nous permet d’affronter l’image de notre propre visage.

L’intensité de ce qui se passe sur la scène, et qui retient justement de façon si hypnotique notre intérêt je la retrouve dans cette phrase que Prosper Mérimé  écrit dans sa nouvelle : « Jamais l’orage n’est si près dans nos montagnes que lorsque le soleil est le plus brillant. »

 Et il y a effectivement le brillant et la chaleur de la musique, la légèreté même, le rouge de force et de passion, le rouge de sang, mélangés qui s’annoncent  dès le début. Nous sommes dans l’arène et nous venons voir le sang sur le sable or. 

Ce sont eux, ce sont nous, nous vivons un peu par procuration. 

Je cède ici la parole à Nietzsche, qui écrivait à propos de Carmen : 

« Et comme la danse mauresque s’adresse à nous en nous apaisant ! Et comme sa mélancolie lascive enseigne la satisfaction à nos désirs toujours insatisfaits ! – Enfin l’amour, l’amour ramené à la nature ! Non pas l’amour d’une « noble jeune fille » ! Pas de sentimentalité ! Mais l’amour comme fatum, comme fatalité, cynique, innocent, cruel, – et voilà justement la nature ! L’amour dont la guerre est le moyen, dont la haine mortelle des sexes est la base ! – Je ne sais pas de circonstance où l’humour tragique, qui est l’essence de l’amour, s’exprime avec une semblable âpreté, trouve une formulation aussi terrible que dans le dernier cri de Don José, avec lequel l’ouvrage se clôt : “Oui, c’est moi qui l’ai tuée, Carmen, ma Carmen adorée !” »

Oui, il y a bien des raisons de venir et revenir vers Carmen, vers la musique de Bizet, même si certaines oreilles méfiantes la qualifient d’hispanisme de pacotille. L’essentiel est bien ailleurs et bien plus vaste. Cette musique en outre a la grâce de donner une éternité égale à la nouvelle de Mérimé, car combien parmi les innombrables spectateurs de l’opéra l’auront lue ? 

Représentation du 14 au 22 janvier 2025 Orchestre de l’opéra royal Direction Hervé Niquet

Chroniques

*Les gardiens du geste*

« Lorsqu’une charpente est achevée, les charpentiers ont la très belle tradition de poser un bouquet sur le faîtage. Composé de branches de la même essence que le bois utilisé pour construire la charpente, le bouquet est notre façon de remercier les arbres qui ont donné leur vie pour qu’on puisse bâtir.

Le 8 mars 2024, on a posé un bouquet au sommet de la nef de Notre-Dame de Paris, pour la première fois depuis 1220. C’était pour moi le point culminant d’une aventure. »

Hank Silver – Charpentier

Et puis, cette phrase :  » Charpentier mène à tout. L’un d’eux, il y a longtemps, fut même le père du Fils de Dieu… »

«Laurence Bost est la seule artiste à avoir été accréditée par l’Établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame pour peindre les artisans au travail. A travers ses toiles lumineuses, elle rend compte de la précision, de la maîtrise et de la virtuosité des gestes séculaires dont ils sont les gardiens. »

J’ai découvert dans *Les gardiens du geste*, des œuvriers.

J’ai découvert le geste de chacun complémentaire du geste de l’autre. Des bâtisseurs. La réalité et la métaphore  d’une première pierre, d’un premier geste, qui s’ajoutent les uns aux autres. Une chorégraphie impressionnante, émouvante.

Peindre *Les gardiens du geste*, c’est laisser voir l’effort des muscles, l’importance de la main, l’acuité du regard, les corps en mouvement, les vaisseaux du cœur à l’œuvre…

C’est aussi peindre le silence dans le bruit des matériaux.

Notre-Dame de Paris en feu, Notre- Dame de Paris en cendres, puis Notre- Dame de Paris en beauté, en majesté.

Et tous ces métiers en chœur pour réparer, mais réparer pour retrouver la lumière et le sacré des lieux.

Et çà et là dans le livre, une réflexion, des mots, un sens :

« Faire revenir des choses à soi, conserver est révolutionnaire » 

« Orner n’est pas une perte de temps, mais une révérence à l’espace »

Et nous apprenons également les métiers de ces bâtisseurs. Ainsi le métier de rentrayeur : 

– Il répare les déchirures dans les étoffes. Pour cela, il joint bord à bord deux morceaux par une couture invisible. Il peut également refaire la trame ou la chaîne d’une tapisserie endommagée.

Avec des textes d’Adélaïde De Clermont-Tonnerre, de Franz-Olivier Giesbert, de Sylvain Tesson, de Bertrand Vergely nous traversons le Temps, le chantier,  depuis l’incendie à la « résurrection ».  

Le mot « résurrection » trouve son origine dans le latin resurrectio, dérivé du verbe resurgere, qui signifie littéralement « se relever, se redresser ».

Et *Les gardiens du geste, sur le chantier de Notre-Dame de Paris* est une formidable fresque de la résurrection de Notre-Dame de Paris.

Laurence Bost avec ses peintures, ses portraits de chaque métier, de chaque geste est certainement de ces merveilleux  *Gardiens du geste*. 

Et je ne saurai terminer sans évoquer l’humilité de ce tailleur de pierre qui confie :  » C’est une fierté de retrouver, d’une certaine manière, l’esprit du Moyen âge. D’être capable de faire aussi bien qu’eux « 

Laurence Bost, *Les gardiens du geste*, Editions Gallimard (Collection livres d’art)

Chroniques

*Le chant du silence*

J’ai reçu un livre d’art. Non, pas seulement un livre d’art, j’ai reçu toute une mémoire, son dédale, son «exposition ».

Dedans des photos de trois géographies et de la progression du rythme des images :

– Murmure (Japon)

– Rumeur (Lille)

– Silence (Atelier)

Quelque chose d’inexorable semble se jouer d’emblée dans le titre : *Le chant du silence*. 

 Quelque chose d’inexorable semble se jouer dans la signature de Nadia Anemiche qui confie :

– Tout projet de voyage lointain temporairement impossible. Se réfugier dans l’atelier.

Quelque chose d’inexorable semble se jouer également par le témoignage  de Marie-Hélène Gauthier qui signe quelques photos et qui  légende *Le chant du silence*

Marie-Hélène Gauthier rythme par les mots la cadence de la marche solitaire de Nadia Anemiche. 

Elle la suit de loin, elle la suit de près. Elle la suit à côté comme pour mieux entendre les pas des allers-retours de la mémoire, des souvenirs qui traversent le regard et puis l’arrivée du lointain à la ville, de la ville à l’atelier.

Et c’est dans les mots de Marie-Helene Gauthier, (Un regard d’aube) que nous voyons ce que Nadia regarde, traverse, expose…

Nadia Anemiche marche dans ce Japon tant aimé. Les silhouettes capturées derrière les fenêtres et les portes en verre dépoli sont particulièrement obsédantes. Comme à la fois figées et animées. Comme appelant au secours. 

Captures « capturées » dans un urbanisme géométrique, atone et « vivant ».

 Elle marche aussi dans Lille, sa ville. C’est une autre brume celle de Lille. Les silhouettes sont « familières ». 

Les fenêtres ourlées  d’attente. Les captures « ourlées de tendresse ».

Et puis l’atelier. Peut-être le lieu de la plus grande mobilité. Les objets sont animés. Ils portent racines, identité et se déploient à l’infini entre imaginaire et réalité. C’est le lieu de l’harmonie. Il n’empêche pas ce qui a été. 

Et Marie-Hélène  Gauthier écrit :

« …Et tout comme Apollinaire, Nadia Anemiche, dans la grande élégance de ses photographies flottantes et floutées, mais de si grande force de présence, « sème ses chants comme des graines », des chants du silence, pour semer des graines bruissantes de vie que nous n’avons plus qu’à rejoindre, et à entendre…

LE CHANT DU SILENCE jusqu’au 21 Décembre 2024. Naïshin Gallery Lille

Portes Ouvertes les Vendredis et Samedis de 15h à 18h et sur simple RDV [EXPOSITION] + [PUBLICATION]

Les photos© sont partagées, depuis Nadia Anemiche, pour la Naïshin Gallery Lille

Blog-Notes de Alain Hoareau

Le phare est un soliste…

Quel est donc ce mystérieux sujet ?

On peut considérer le discours, qu’il soit musical ou verbal, comme l’art de façonner le silence, ce silence qui permet à l’objet de se dessiner dans le miroir qu’est l’auditeur. Il en nait cette relation curieuse et vertigineuse à trois personnages : le soliste, l’auditeur et le silence qui les relie.

Solitude du phare !  Magnifique solitude, liant les bruits de la terre à la fureur de la mer. 

Se retrouver seul face au public, au lecteur, seul avec sa voix, avec son instrument ou seul devant la page blanche, est un moyen privilégié d’ouvrir l’imaginaire d’un auditoire, d’un lectorat et de réveiller ses interrogations.

Lorsque je « prends la parole », je réclame des autres le silence, et s’ils me l’accordent, le sujet se doit d’être important. C’est bien le sujet qui est important, c’est lui qui  concentre l’écoute et le regard et non pas moi… 

Quel est donc ce mystérieux sujet ?

Dialogue imaginaire.

Quand le musicien se retrouve seul, il éprouve souvent le besoin de revenir vers celui qui lui a prodigué tant de conseils, comme on revient vers « l’arbre ami », dont on connait les racines fortes et l’ombre protectrice. Il n’est pas rare alors d’entamer comme un dialogue…

« – J’ai la confiance et la certitude de mon travail, Maître. Mais je sens qu’il me manque encore quelque chose… Que puis-je faire de plus ?

– Tu possèdes la technique, je te l’ai enseignée et puis ton propre don. Mais ils ne seront rien sans l’émotion. L’émotion est seule capable de convaincre. Mais ce n’est pas de ton émotion dont il s’agit, elle ne se transmet pas ; il s’agit de celle que tu dois provoquer. Quant à ton travail, il doit passer totalement inaperçu.

– Est-ce à dire que je dois laisser l’impression d’un voyage réussi et au final celui que l’auditeur aurait lui-même imaginé faire ?

– C’est un peu cela. Tu dois élaborer un programme en tenant compte de quelques éléments : avoir un fil conducteur, un seul, pour la clarté et qui fera lien pour toutes les œuvres jouées. N’oublie pas que dans tout voyage, il doit y avoir des points de repères : toute nouveauté s’appuie et se découvre par ce qui est déjà connu. Et pour poursuivre sur l’idée du voyage, il n’en est pas de meilleur qui ne contienne quelques haltes. Ne les néglige pas, ce sont elles aussi qui donnent du rythme au récital.

– Admettons que tout cela soit réalisé, n’y a-t-il pas au moment fatidique, celui du concert, le risque d’un faux pas ?

– Si, et il faut l’accepter. Andrès Segovia disait que dès que l’on commence à jouer on est en équilibre sur un fil. Mais l’équilibre est un sens qui se travaille et se développe…

– On ne joue pas sur scène comme on joue à la maison et il ne faut surtout pas tenter de retrouver les sensations qu’on avait chez soi, elles ne seront pas au rendez-vous et elles me perdraient. C’est bien cela ?

– Tout à fait. La maîtrise du sujet est le minimum requis, il n’y a pas à y revenir. Mais il faut se préparer à cette nécessaire liberté de jeu au moment « fatidique », comme tu disais tout à l’heure, ne pas être enfermé dans un cadre trop rigide. Les sensations que l’on éprouve sur scène sont très différentes de celles de tous les jours. La notion même de temps est différente. Sur scène tout semble aller plus vite, et on commet souvent l’erreur de ne pas prendre son temps, celui nécessaire à s’accorder, se préparer, respirer à l’intérieur de l’œuvre interprétée. Tout accident prend une dimension plus importante qu’elle n’est réellement. Là aussi il faut se préparer à rétablir l’ordre des choses. En outre, tu es le seul à savoir ce que tu as préparé, alors s’il te semble dévier légèrement de ton chemin, poursuis avec cet instant qui te guide vers ce petit ailleurs, avec cette liberté des improvisateurs dont la grille d’accords est le seul soutien. »

Fin du dialogue

Lecteurs, si vous avez suivi jusqu’ici en conservant quelque intérêt à mes propos, demandez vous qu’avais-je besoin d’autre  chose que ma seule voix pour vous mener jusqu’au mot fin

Si l’exploitation de sa propre solitude ne représente aucun intérêt, le soliste en scène ou le soliste-auteur est nécessairement celui qui part à la recherche de l’autre.

Enfin, pour reprendre un article paru dans le Journal de Genève le 09 octobre 1925 relatant un concert d’Andres Segovia : 

« Andres Segovia est toujours seul avec sa guitare, mais celle-ci devient innombrable. »

Chroniques

Lieu-dit : *Au Cabaret des oiseaux et des songes*

« Traverser les murs. Déraisonner la géographie. Se munir de l’épée du Temps contre les oublis et célébrer les grâces. Prier pour l’ami afin qu’il s’apaise. Demeurer en équilibre sur un sifflement de geai… »

Et nous reconnaissons l’écriture du grand magicien des mots, de l’équilibriste du temps, du gardien d’un singulier cabinet de curiosités 

Nous reconnaissons Eric Poindron

Cette fois, le « lieu-dit » est un cabaret. *Au cabaret des oiseaux et des songes*

Il y a comme toujours chez l’auteur une invitation au voyage. 

Denis Grozdanovitch, dans sa formidable Préface dévoile un peu de la géographie et des mystères de ce voyage. 

 – Plongez-vous sans tarder dans le merveilleux ouvrage d’Eric le maestro et laissez-vous porter par le sortilège des plus beaux songes…

Et nous  plongeons…

Ce « roman d’escapades » est infiniment beau. 

Nous retrouvons les obsessions d’Eric Poindron : l’enfance, le temps, les amis perdus, les siècles de littérature qui s’entrelacent, les princesses mortes, les fantômes et les papillons…

Nous retrouvons Éric Poindron. L’auteur sait être pudique. Alors il convoque Gilles Lapouge pour nous dire  :

– Je crois que tous les hommes sont faits de même ; la première destination de leurs voyages est leur enfance… » 

Il y a aussi Gérard de Nerval qui lit dans la paume de notre main :

« Et de blancs papillons la mer est inondée »

Et nous revoyons les étranges papillons d’Eric Poindron, nous revoyons ses fantômes et nous l’entendons murmurer :

– C’est un peu de moi-même dans ces terrains vagues où se déploient lentement, et sans mon consentement, les souvenirs de celui que je fus… 

D’autres témoins, traversent aussi ce roman d’escapades. Pascal  Quignard bien sûr, Georges Séféris, Alexandre Dumas, Stevenson, Madame de Sévigné, Ioan Botezãtorul Broascã, et…

Et de temps en temps revient le jeu questionnaire dont l’écrivain est friand :

– Qui est cet être proche que l’on cherche à raconter ? Le silence d’une larme ; le vent dans une confidence…

Et encore le jeu de Collin Maillard et là, Eric Poindron nous aide à trouver au moins un des personnages : 

– Quand j’écris une histoire, sans que je ne le dise à personne, en secret, c’est un peu de moi qui se glisse derrière les mots et je deviens ainsi le personnage clandestin de ma propre histoire.. 

Mais  ce grand poète, cet enfant  de Reims convoque dans ce roman, peut-être plus qu’ailleurs ce père tant aimé. L’homme des promenades. Celui qui continue de son ailleurs de lui faire signe de la main…

Notre érudit, car il l’est, va encore rameuter  les mots des autres, les siens…

Nous entrons dans les dédales de ses bibliothèques intérieures. Dans son monde où chacun est passe-muraille. Nous traversons des pays, des villes. Nous nous allongeons sur des sables d’aurore.

Nous regardons des couchers de lune.

Nous rencontrons des poètes,  des « illuminés » de tous les siècles, des magiciens, des illusionnistes, des gardes fou, des princesses noyées étendues sur un lit de fleurs, des fées qui courent la lande, des hirondelles en vertige au-dessus des vagues et toujours un bateau… pour revenir, pour ne pas naufrager :

– Un bateau vague, brise les veines des eaux de nuit. Ça scintille en noir et blanc, même dans les eaux de nuit et de peine… 

Et nous caressons doucement la très belle couverture du livre. Cette « improbable aurore boréale au Gerbier de Jonc » signée Simon Bugnon.

La neige écarlate est là aussi. Elle porte le sang versé des ballons rouges qui n’ont pu s’envoler…

 Et peut-être qu’Eric Poindron garde au creux de sa main, la petite cicatrice d’une enfance, du fil de cette enfance qu’il n’a jamais su/pu lâcher…

Alors une fois de plus, il nous convie à un festin, il y a autour de la table tous ces écrivains qui ont compté. Il y a des amis disparus qui ont compté. Il y a des mots qui percutent. Il y a son enfance qui danse toujours, il y a cette porte derrière lui, légèrement entrouverte qui lui permet toujours de s’échapper.

Eric Poindron, notre hôte nous convie « par les vents et les tangentes, au cabaret des oiseaux et des songes ».

L’éditeur est « Le Passeur » !

Peux-t-on mieux trouver pour ce festin ? Pour ce voyage ?

Chroniques

Un coup au cœur / À cœur perdu

« Il était 17 h 20 lorsque mon cœur s’est arrêté…

Au huitième électrochoc, mon cœur est reparti… »

C’est l’histoire vraie d’Emmanuelle De Boysson et qu’elle raconte dans *Un coup au coeur* aux Editions Calmann-Lévy

Toute la bataille pour revenir à la vie. Tout ce qui s’est passé lorsqu’elle était  dans le coma. 

Sons et lumières de son EMI (expérience de mort imminente). Cet ailleurs où l’enfance et la jeune fille en fleurs sont toujours intactes. Avec les peines, les joies, les retrouvailles…

Emma raconte aussi  la sortie du coma, la vie qui reprend ses droits avec son cortège de petits riens qui parfois essoufflent.

Hier, j’ai revu l’histoire d’Emma adaptée au théâtre. C’est toujours *À cœur perdu*. C’est toujours l’époustouflante Carmen Vadillo Ruiz qui porte la pièce. C’est toujours au Essaïon Théâtre.

J’avais vu la magnifique adaptation d’Hervé Bentégeat

Hier, j’ai vu *À cœur perdu*  mis en scène  par Véronique Boutonnet.

C’est une expérience extraordinaire de voir deux mises en scène  différentes et si réussies de la même histoire. C’est extraordinaire de voir la comédienne en soliste aussi  bluffante dans les deux versions. 

Et…il est particulièrement émouvant d’entendre dans la salle une femme pleurer doucement, comme dans un souffle. C’est Emmanuelle de Boysson. Elle est à chaque fois submergée au même passage. Celui  qui parle de son père :

« J’aperçois mon père qui m’attend avec son chapeau de randonnée… »

La voix de Carmen est douce en cet instant. Son regard est lumineux. Et Emmanuelle dans la salle est dans cette vulnérabilité si émouvante qui abolit la frontière entre le récit et la scène…

La force de la vie en embuscade nous étonnera toujours. 

Et puis, il y a ce passage où la voix atone de Véronique Boutonnet scande la prise en charge aux urgences. Le rythme accéléré des ordres pour ramener à la vie… 

Epoustouflante chorégraphie de la mort et de la vie qui se joue aux urgences d’un hôpital…

Mais allez entendre, allez voir !

C’est vertigineux…