Chroniques

*Tremblements de ciel*

Écrire pour avoir  « lieu »…

[…] Je n’ai pas eu d’enfants.

Je ne laisserai rien.

Ma vie sera pareille à l’éclair.

Les fleurs sur ma tombe faneront en une semaine.

Et le premier vent effacera tous mes pas […]

Jean-Christophe Galiègue écrit depuis le manque, depuis cette béance d’où rien ne répond. 

*Tremblements de ciel* est un recueil de solitude. Pas  de lignées, pas de « siens ». Et pourtant sa parole retentit gorgée de tant d’illusions :

[…] Comment dire le temps suspendu 

Les battements d’ailes

Les veines farouches

Le cœur en flammes

La peau la neige

Le bleu de l’air

Les remparts de lumière

L’ombre portée

Le rouge de vivre […]

Mais il est tard. Ou alors plus assez tôt. Et entre ce qui est et ce qui reste, tout tient sur un fil. Peut-être un instant de présence encore, une parole arrachée à l’éphémère, un éclat de rire avant le grand silence. 

Jean-Paul Galiègue est lucide. Il ne promet rien. Ni à ses lecteurs, ni à lui-même.

Tel un sismographe, il continue jusqu’au bout d’enregistrer les secousses. Toutes les secousses. Celles de l’amour qui échappe, de la lumière qui s’efface et de la vie qui tremble toujours au bord de sa disparition.

Écrire devient alors sa seule appartenance, sa seule famille. Chaque mot trace une fragile lignée de papier, un ciel traversé de failles mais habité quand même. 

Et c’est là précisément que le poème  trouve sa force. C’est là qu’il fait tenir debout un homme seul sous un ciel instable.

[…] Le noir d’écrire

Le temps

Qui se regarde et s’imagine

Un bout de ciel

Pris dans le vent 

Posé là […]

Et dans chaque tremblement, cet homme seul nous offre « La forge des mots ». 

Ceux qui font tenir…

Jean-Christophe Galiègue, *Tremblements de ciel*,

Chroniques

*Gunks*

Gunks* ou l’insouciance en paroi 

C’était le temps de l’insouciance, de l’escalade libre, d’une joie de vivre où le principe de précaution n’était pas encore « harnais ». 

Ils ont pour royaume une falaise, pour maison un van improbable, pour horizon leur jeunesse.

Le matériel ? Des cordes un peu fatiguées, quelques sangles et …de quoi grimper sans trop se poser de questions. 

Pas de principe de précaution en « harnais ». L’époque le permettait…

Nous sommes au début des années 80. Méduz le narrateur, Manuel et Claire traversent l’Atlantique pour se mesurer aux falaises mythiques des Gunks.

Qui sont ces trois jeunes gens, dont deux bons grimpeurs, Claire et Manuel et le troisième  Méduz qui l’est un peu moins, mais qui a de bonnes raisons d’y aller :

– Je me demande pourquoi je me retrouve là avec ce très bon grimpeur et cette excellente grimpeuse, et je tente de me convaincre qu’il y a trois bonnes raisons à cela. Primo, Manuel est mon super copain, on s’entraîne ensemble depuis longtemps, et on rêve de ce voyage depuis un bail ; secundo, je parle anglais ; tertio, mais un tertio qui est peut-être un primo, Claire est ma petite copine – enfin, je crois.»

Et puis il y a ce : [in carnets de Claire ]

Il y a toutes les rencontres là-bas. Les modes de grimpe, de vie que l’on compare. Gunks-France. 

Et puis Todd… l’accident… une déflagration dans ces instants où rien ne « pouvait arriver »

Et tout le livre nous projette dans cette époque insouciante. Nous y avions laissé aussi de terribles déflagrations nommées Todd. Mais nous avons oublié… 

Et nous lisons avec ce petit sourire aux lèvres et peut-être, pour ceux qui ont connu ce temps, un petit clapotis dans les yeux.

Et puis, après avoir ri, s’être émus, avoir un peu comparé avec ses « Gunks » à soi, c’est la fin du  livre. La gorge se serre. C’est comme un dernier jour de vacances. C’est comme un été qui ne reviendra pas.

Le trio est mélancolique et nous aussi.

*Gunks* de Nicolas Richard, c’est aussi l’écriture. C’est l’atmosphère que dégage cette écriture qui fore et dans la falaise et dans notre mémoire. Nicolas Richard est traducteur. Le corps à corps avec les mots, il connaît. 

Nous sommes conquis dès le début. Et nous « sommes dedans » dès le début. On grimpe avec eux, on rit de leurs manques, de leurs vertiges, des yeux qui s’accrochent…

On respire la liberté des années 80. 

Et cette couverture acidulée, colorée, qui penche joyeuse.

Un van jaune, une silhouette avec une chemise, à la Antoine le chanteur, danse.  

Et dans le fouillis, la promesse de toute une aventure.

Ce livre, je l’ai « rencontré » par hasard, cet été. J’aime beaucoup quand c’est un lecteur ou une rumeur qui « rapporte » un livre. 

Devant la mer, une dame lisait avec un sourire au bord des lèvres. Intriguée, je lui ai demandé ce qu’elle lisait. Elle a levé son livre et m’a montré la couverture. Dans son regard, tout le souvenir de sa propre insouciance.

Alors j’ai su que je voulais ce livre. Que je voulais ce glossaire de la grimpe :

– Friends : coinceurs mécaniques qu’on glisse dans les fissures, baptisés ainsi parce qu’ils sont, vraiment, des amis.

– Monodoigt : trou dans la roche où l’on ne peut loger qu’un doigt. Cruel, mais nécessaire.

Je voulais surtout, à mon tour, « Grimper pour rien. »

C’est une phrase du livre. Elle mène aux sommets… même quand on est nulle comme moi en escalade.

Même quand comme certains ici, n’ont pas connu ce temps insouciant de l’époque. 

Allez-y ! Plaquez-vous contre la paroi ! C’est une roche « miraculeuse »

Nicolas Richard, *Gunks, Chronique du temps insouciant*, Editions Arthaud

 Magnifiques photographies d’ Olivier Martin Gambier

Interviews

L’escale de Jeanne avec Agnès Clancier

Agnès Clancier est une femme en urgence. Elle écrit. Elle traverse le monde. Elle écrit encore et elle re traverse le monde.

Les terres lointaines, les aventurières comme l’aviatrice et résistante  Maryse Bastié, la fascinent. 

Mais il faut écouter Agnès, la voir rire, réfléchir, tenter de poser le mot juste, d’expliquer pour nous, pour elle…et soudain sourire, s’attendrir…

Un nom comme une ancre… Karina

Sokolova. Sa fille adoptée. Agnès Clancier  a écrit un livre avec pour titre : Karina Sokolova. C’est comme un album photos. Un livret de famille. Et quand Karina lui a demandé :

– Pourquoi tu m’as adoptée ?

Juste ces mots :

« Parce que tu n’avais pas de maman… et que je n’avais pas de petite fille » 

Une phrase « absolue », une épiphanie.

Merci au Restaurant Les Éditeurs de nous avoir reçues.

Chroniques

*La collision*

« Fait divers » est un mot terrible. Il aseptise une tragédie.   

La collision, c’est l’histoire de la trajectoire d’une balle perdue… mais ici ce n’est pas une balle perdue… c’est une collision…

En 2012, la mère de Paul Gasnier est percutée à Lyon par un très jeune homme  en moto cross. Il faisait du rodéo urbain à 80km/h. C’était le matin. Sa mère allait à son atelier pour donner son cours de yoga. Lyon, c’est le hasard d’un poste proposé au père de Gasnier. 

La collision ou l’histoire de la trajectoire d’une balle perdue 

Dix ans plus tard, le fils devenu journaliste remonte le fil : non pas pour disculper, mais pour comprendre. Ce qui « n’est ni un meurtre ni un assassinat… » malgré le terrible qui s’en est suivi.

Comprendre « Saïd », sa délinquance, son dérapage, sa « folie » pour ne pas penser un instant à la dangerosité de son acte.

Comprendre à quel moment les filets sociaux ont cessé de se tendre, quand la République a décidé de laisser tomber les « quartiers, les zones, la banlieue ».

Et puis la responsabilité des politiques. Au discours qui chauffe à blanc des salles entières en scandant des « mots offenses ». Eux aussi sont dans une forme de rodéo urbain, totalement déconnectés de ce qu’ils peuvent provoquer.

Et toujours récupérer la tragédie du fait divers. C’est le fond de commerce de toute campagne politique…

Gasnier écrit sobre, lumineux, sans un gramme de pathos. Il refuse les caricatures, démonte l’instrumentalisation politique du tragique, et restitue dans la même phrase une tendresse infinie pour sa mère et une lucidité glacée sur le réel.

Et puis le destin… sa mère qui avait couru le monde lointain pour venir mourir à Lyon. En pleine ville. Un matin.

Chaque page « pèse ». Celles du procès sont bouleversantes. Un direct de la réalité. Les familles sont là. Chacune dans sa tragédie. Les avocats, la Cour et « Said »…

*La Collision*, c’est le choc frontal  entre deux destins qui n’auraient jamais dû se croiser. Collision entre deux France qui s’ignorent. Collision enfin entre l’intime et le politique.

Paul Gasnier écrit :

« La violence qui a frappé ma famille possède une généalogie, qui nous raconte collectivement. Elle a été commise par un jeune garçon dont la dérive est le produit d’une époque où les filets de la société n’accrochent plus, ne rattrapent plus, et où l’obsession de soi permet tout. »

Certains trouveront excessif tout cela. Certains auront déjà une opinion sur le livre. 

Surtout ceux qui ne l’auront pas  lu…

Mais la maman de Paul Gasnier est morte. 

En exergue, avant d’entrer dans l’histoire, on peut lire ces mots de Paul Valéry :

« Les morts n’ont plus que les vivants pour ressource ».

Paul Gasnier, *La collision*, Editions Gallimard.

Paul Gasnier est journaliste. *La collision* est son premier roman.

Interviews

L’escale de Jeanne avec Guilaine Depis

Intrepide, décoiffante parfois, touchante, spontanée gracieuse, exigeante, douée, toujours avec cette force et ce fond de mélancolie elle avance  souveraine.

Balustrade nous dit-elle, c’est un peu d’une chanson où le mot Bal accompagne la « petite fille aux allumettes », un peu de la beauté d’un lustre joyau, lumineux… et le reste.

D’une enfance cabossée, elle a retenu qu’il faut vivre coûte que coûte.

Elle a une connaissance parfaite du milieu de l’édition, de ses mirages, de ses joies. Elle lance des auteurs, leur fait faire parfois leurs premiers pas dans ce milieu que souvent ils connaissent mal.

Elle est drôle aussi, il faut l’écouter pour comprendre.

Et toujours les chats compagnons, confidents.

La considération nous dit-elle est ce qui relève l’autre.

À la Brasserie Lipp, infiniment remerciée, elle est chez elle Guilaine Depis.

Une Escale drôle, bouleversante et inattendue …

Merci Guilaine de tout ce qui s’est dit.

Interviews

L’escale de Jeanne avec Marie-Hélène Prouteau

Tenir dans la nuit, une lampe à la main…

Quelle Escale ! Elle est contagieuse Marie-Hélène Prouteau Stéphan quand elle parle de Celan…

Elle s’émeut, s’émerveille, se tient dans l’ombre pour laisser venir les souvenirs… elle entonne un chant… elle sort un album photos, elle passe la main sur les pierres…et puis l’Histoire… la terrible Histoire.

Et elle raconte… c’est beau ! C’est lumineux ! 

Avec *Paul Celan, Sauver la clarté* (éd. Unicité), Marie-Hélène Prouteau nous emmène dans une incroyable traversée. 

Mandelstam, Nelly Sachs et tant d’autres apparaissent comme des compagnons de route. 

Et puis, fresques murales,

correspondances, géographie, mémoire, tout devient signe, borne, pierre d’attente. 

C’est  une « calligraphie de lumière », qu’a su détecter Marie-Hélène Prouteau, écrit dans la préface Mireille Gansel.

Écouter Marie-Hélène Prouteau, c’est marcher avec Celan… pour apprendre à tenir…

À « tenir dans la nuit, une lampe à la main… »

Chroniques

*Où les étoiles tombent*

Auguri Mathidé… Auguri 

Mathilde est revenue… De loin, très loin. Le 12 août 2022, avec Cédric Sapin Defour son époux, ils vont faire du parapente dans une vallée de la province de Bolzano en Italie.  Ils savent les gestes, ils savent l’envol, ce ne sont pas des novices, leur vie c’est la montagne, ses hauteurs, son oxygène.

Cédric se lance avant Mathilde et puis, il regarde en arrière, il ne la voit pas. Il ne panique pas tout de suite. Mais la radio de Mathilde ne répond pas, il tournoie à sa recherche et il voit au sol le tissu du parapente. Il claque au vent.  Et tout s’enchaine

Où les étoiles tombent de Cédric Sapin Defour est un livre aux aguets de l’immobile.

Des mots obsédants : polytraumatisée, soins intensifs, souffle, montagne, neige, air, eau… Mathilde, Mathilde…

Cédric Sapin Defour écrit dans les intervalles, dans la déchirure des mots séparés.

Il a une défiance envers les images, celle d’avant l’accident. Celle de la joie, celles de l’aventure. Mais en même temps, ces images sont Mathilde, sont ce qu’est toujours Mathilde même si elle ne pourra plus voler. Voler… le mot magique, le souffle magique. Voler… et une image s’interpose…tomber, se briser… 

Mais Cédric ne veut pas de mots qui ne vont pas à Mathilde. Il est très attentif à son souffle à ses mouvements nouveaux. Elle réapprend tout Mathilde. 

Et lui aussi. « L’accident pulvérise hier et demain », mais sans les effacer vraiment.

Il apprend à se méfier des mots qui pourraient faire tamis jusqu’à ne plus garder que le vide, le vertige.

Au début juste après l’accident nous lisons la peur de Cédric, l’effroi de Mathilde, ses yeux fixes, la formidable équipe de secours, les soins intensifs, les onomatopées,  les graffitis pour empêcher la vie de s’en aller

Et Mathilde revient Par paliers. En reprenant conscience, elle découvre son corps « nouveau ». Et la dimension de ces mots « qu’est-ce qu’une vie normale ? » pour celui qui a failli mourir et garde des séquelles en restant vivant et pour l’autre qui l’a veillé en recueillant le sacré de chaque frémissement de vie comme une sortie de deuil…

Nous ne lisons pas Cédric Sapin Defour, nous l’écoutons, nous sommes face à lui. Il écrit à la buée. Nous lisons à la buée…

Et puis Mathilde, Mathilde qui réapprend tout. Elle réapprend à retisser les mots, elle réapprend les gestes du corps, elle réapprend à s’orienter en elle-même, en eux-mêmes. Elle réapprendra plus tard dans quel ordre se commande un café. Quand choisir, commander, payer, remercier.

Et puis il y a le temps. Ce temps double qu’il faudra accorder. Mathilde en mouvements permanents pour se réapproprier son corps, sa vie sauvée et Cédric, cloué à l’instant, à la veillée, à cette patience qui consiste à épouser la vitesse de l’autre. 

Deux voies parallèles, comme deux trains qui ne partent jamais à la même heure dira-t-il, mais qui se rejoignent toujours

Cédric Sapin Defour nous raconte une histoire vraie. L’écriture est vraie. La poésie habite des paragraphes entiers. Il faut lire livre, il faut pouvoir dire Auguri Mathildé, Auguri et il faut également prendre contre soi ce livre.  Avec tendresse, avec pudeur, avec émerveillement.

Nous sommes le témoin du témoin. Nous sommes les témoins de Cédric qui est le témoin de Mathilde. Nous sommes les témoins de Mathilde qui est le témoin de son propre retour dans la vie, à la vie… Auguri Mathildé,  Auguri…

Ce livre est une cartographie de la perte et de la reconquête du territoire. Mathilde est revenue presque la même et pourtant un peu autre. Cédric est resté presque le même et un peu autre.

« Où tombe les étoiles » est un livre où on s’émeut et où on sourit en même temps ainsi :

« Toutes les trente secondes, je consulte mon téléphone, ce soir Siri me dira d’être vigilant quant à mon temps d’écran, ça me fera une conversation »

Et cet extrait magnifique :

« J’avais pensé à ton visage aussi mais pas à cette annexe qu’il dissimule : le cerveau.

Moi, je croyais que c’était le cœur qui pensait, qui aimait, qui frémissait, qui en faisait trop ou pas assez. Parfois il bat vite, d’autres fois on le secoue. En réalité, c’est le cerveau. Un cœur, c’est plus joli qu’un cerveau. C’est un oyas en peau d’argile blotti dans la terre et qui irrigue tout autour de lui, quand le cerveau, lui, on dirait le périphérique parisien. Mais c’est là-haut, dans ce lacis clignotant et selon un cadastre électrique rigoureux qu’habitent la gaieté, l’effroi, la tendresse, la poésie, l’émerveillement, la délicatesse, la possibilité de la joie, les douces mélancolies, les forces de l’espoir, le don de la nuance, l’arbitrage des peurs, l’accueil de l’autre, la tentation de la violence, la soif de découvrir, le doute, l’imaginaire, les rêves oubliés, les vérités fragiles et toutes ces folies passionnantes qui rendent la vie respirable. L’amour même niche là-haut, dans ce trafic où la moindre collision paralyse le monde.

Le cerveau est le seul bout de nous, qu’on ne sait pas assister ni remplacer, il n’est qu’à soi. Le joli cœur n’est qu’une pompe et il aura beau battre, à quoi sert-il si tout ce qui rend sensible s’éteint ? 

Je n’y avais pas pensé, si le cœur s’arrête, on meurt, si c’est le cerveau, on ne vit plus… »

 Tout au long de ma lecture j’entendais en bruit de fond la chanson de Daniel Darc : La taille de mon âme

Si tu savais mes mains… rien

Si tu savais mes reins…rien

Si tu savais mes jambes… rien

Si tu savais mes bras… rien

Mais si seulement tu savais la taille de mon âme…

Si seulement vous saviez la taille de leur âme à chacun de « ces deux-là » !

Merci Cédric Sapin Defour pour ce bouleversant tomber d’étoiles et  ce magnifique lever de rideau.

Auguri Mathildé, Auguri… Mathilde est revenue

Cédric Sapin-Defour, * Où les étoiles tombent*, Editions Stock

Chroniques

*Parmi toutes les autres*

*Parmi toutes les autres* ou si peu…

« Vous étiez revenu. Parmi toutes les autres, vous m’aviez remarquée. »

Opéra de Paris, fin du XIXᵉ siècle.

Adèle a quinze ans. Elle est petit rat à l’Opéra.

Les pieds en sang, le sourire obligé. Grâcieuse toujours.

Parmi les messieurs venus lorgner les ballerines, un regard différent, le peintre des danseuses : Edgar Degas 

Un après-midi de mai, quelques mots… et Adèle   l’emmène dans sa chambre.  Ils s’aimeront.

Elle dira l’éblouissement de ce moment. Elle dira ces arbres de printemps qui bruissent et lui rappellent le bruit de la mer. 

Elle sait déjà qu’il ne reviendra plus, mais elle sait aussi que ce « si peu »  la tiendra toute une vie.

En partant, Degas lui laisse un dessin, une esquisse : Portrait de famille.

Adèle se mariera, aura un enfant. Lui aimera ailleurs.

Hélène Veyssier signe « un roman d’absence et d’obsession, tout en clair-obscur ».

Un récit où l’amour est plus vaste que l’événement, où l’attente devient l’œuvre.

On y retrouve la cruauté du métier de danseuse d’Opéra à l’époque : la discipline qui dévore, la pauvreté en coulisses, les regards qui marchandent au-delà de la beauté de la danse.

Pourquoi lire ce roman ? 

– Déjà pour la grande beauté de l’écriture d’Hélène Veyssier. Elle a ce style dépouillé qui en peu de mots, plante un décor, son paysage, son atmosphère, son arrière-pays.

Et ce personnage d’Adèle ! Il a sûrement existé sous d’autres formes. Il est émouvant pour cela. Ce roman c’est « Adèle ». C’est autour de ce « si peu ».

Degas a peint, dessiné, sculpté les petits rats de l’Opéra avec une intensité quasi obsessionnelle. Mais cette obsession était surtout d’ordre esthétique et sociologique. Il s’intéressait à la mécanique du corps en mouvement, à la discipline, aux coulisses, à la lumière des cintres, à ce que l’œil mondain ne voit pas…Il n’a pas laissé trace d’un grand amour je crois.

– Et puis, parce qu’il y là un vertige. Un immense vertige : comment un instant peut nourrir toute une existence.

– Et aussi, parce-qu’Edgar Degas, sans le vouloir, a offert à Adèle un destin. 

Peut-être ajouter, que ce roman/fiction parle un peu de nous. De ces obsessions qui parfois nous habitent et que nous tissons en fils mémoire…. Tantôt comme un filet pour ne pas tout à fait tomber, tantôt comme un fil de cerf-volant pour continuer de nous élancer plus haut… pour continuer de « respirer » en quelque sorte.

Il faut si peu pour « vivre » et Adèle qui continue son soliloque avec Degas bien après la mort du peintre, lui dira :

« Si quelqu’un se souvient de la petite danseuse, alors qu’il entende en écho l’histoire de votre tableau et la mienne et qu’ainsi j’existe »

Et nous savons aujourd’hui qu’elle existe. Et nous ferons  écho à sa voix, à sa vie….à ce si peu…

Helene Veyssier – *Parmi toutes les autres* (Éditions Buchet/Chastel)

Chroniques

*Voyage avec Zoë Lund*

*Voyage avec Zoë Lund* ou écrire sur la « ligne »…

*Voyage avec Zoë Lund* (Lanskine Editionsé) s’ouvre sur comme un monologue. Véronique Bergen l’autrice, écrit/parle comme pour elle-même. Mais c’est un plan en double page. Et nous voyons sur la page de droite une jeune femme assise qui lit.

C’est Zoë Lund. La photo est ancienne. Zoë lisait en fait le scénario de Richard Hell, Meet Theresa Stern (octobre 1998)

Mais nous oublions ce que lit Zoë Lund. Et elle  semble lire ce qu’écrit Véronique Bergen. Celle qui vite passe au tutoiement : 

« Zoë, tu agis sur moi, comme un aimant, comme un double. Te voir, c’est me voir »

Et nous comprenons que nous n’assistons pas à une biographie. Ni à une fiction.

Deux jeunes femmes qui se ressemblent sont face à face.  Le temps est aboli.

L’une, Zoë Lund est morte à 37 ans d’une overdose. Elle a passé sa vie en nomade, dans l’excès, les veines traversées de feu, mais aussi d’un talent infini. Talentueuse et Incandescente jusqu’à l’implosion. 

Zoë Lund, née Tamerlis, ange noir des films d’Abel Ferrara a été également scénariste, compositrice, musicienne, auteure,  mannequin, activiste et surtout « junkie ».

L’autre, Véronique Bergen, est philosophe, romancière, poétesse. Elle a décidé d’écrire face à face avec cet ange noir qui a brulé sa vie. Elle décide par l’écriture de lui parler à l’infini.  

Au début,  nous ne comprenons pas vraiment pourquoi, mais c’est parce-que nous avons lu trop vite.

Véronique Bergen l’annonce d’emblée pourtant  :

« Zoë  tu agis sur moi comme un aimant, comme un double. Te voir, c’est me voir »

Et nous n’avons plus de doute sur le face à face, sur ce « tu », sur la beauté de l’écriture de Véronique Bergen qui vient faire baume sur les déchirures assumées de Lund : 

« Tu vouas un culte au rituel du shoot avec un jusqu’au boutisme flamboyant ».

Ce que veut nous dire Véronique Bergen est grave, plus grave encore. 

En fait Bergen nous dit que Zoë Lund  n’a jamais rien négocié. Avec personne. Même pas avec elle-même.

*Voyage avec Zoë Lund* est un livre rare. Nous croyons lire sur Zoë Lund, mais la véritable héroïne du livre est Véronique Bergen.

Elle parle d’elle quand elle parle de Zoë. Elle a ses propres volutes qui ne sont pas des drogues. 

Et dedans des images qui la vrillent… celle de l’enfance, celles de la mère.

Elle a besoin d’une confidente, qui puisse comprendre, qui puisse ne pas juger son vertige, ses mots absinthe, sa propre mise en abime, sa polyphonie, son nomadisme.

Elle a besoin des lignes de l’écriture pour parler d’elle Véronique Bergen. 

Elle avait écrit dans * Ecume * :

« L’écriture doit créer, réinventer à chaque coup sa liberté »

Et avant que l’ombre ne reprenne le territoire dans *Voyage avec Zoë Lund *, nous trouvons à la fin du livre comme un jeter de quelques poèmes déjà enveloppés de brume : ce sont ceux de Zoë Lund.

Il faut les lire pour comprendre combien elle ne négocie jamais « Zoë ».

Et encore sous l’émotion de notre lecture, cette dernière photo de Zoë Lund. Elle est comme une suite à la première photo où elle lisait.

Dans celle-ci, Zoë Lund semble debout. Pensive, peut-être inquiète. La main sur la bouche, elle regarde quelque chose ou écoute encore quelqu’un…peut-être Véronique Bergen qui reprend ce que nous n’avons pas complétement dévoilé au début :

« Je ris de me raccrocher à une noyée, à une visiteuse des régions obscures, de bourrer mon panthéon d’intercesseurs de figures tragiques, de junkies fantasques, de vagabondes flirtant avec l’abîme, grands inadaptés de l’existence qui me renvoient à ma mère si peu à l’aise avec ce qu’on appelle la vie… »

Une histoire personnelle s’est tissée dans « l’impersonnel » d’une autre histoire… 

Et nous comprenons mieux ce qui fascine tellement Véronique Bergen, ce qui la fascine jusqu’à s’en brûler les yeux !

Véronique Bergen, *Voyage avec Zoë Lund*, éditions LansKine (2025)

« Traduction des poèmes de Zoë Lund par les éditeurs aidés de @ClaroClaro »

Photo de couverture, Zoë Lund photographiée  par son époux Robert Lun

Interviews

L’escale de Jeanne avec Pierre Perrin

« Devant la pluie à verse, un verdier décoiffe ses ailes. Imitons-le, si nous pouvons. Secouons le morne, la morosité. Touchons la lumière. Le temps n’est plus d’apprendre, sinon ceci : Partage ton savoir et meurs. Et toi, jeune, vis ton soûl… »

Pierre Perrin * Le goût de vivre* (Extrait)

Nous avons secoué le morne, la morosité…

Un feu d’artifice de questions réponses.

C’est drôle, émouvant, décoiffant, grinçant, bouleversant et puis…

Et comme l’écrit Pierre Perrin :

« L’âme a son rythme, ses éclairs et sa lenteur ensemble. C’est pourquoi elle nous dépasse »

Et il ajoute :

« Je vous souhaite mille bonheurs »

L’estampe de couverture de l’essai Le goût de vivre est signée Florence Crinquand