Interviews

L’escale de Jeanne avec Lise Marzouk

L’Escale de Jeanne en *terre natale*

Dans *La Dernière Porte*, (Éditions Héloïse d’Ormesson), Lise Marzouk tisse un roman bouleversant, intime et lumineux, où la maternité devient espace sacré, lieu de bascule entre l’avant et l’après.

Dans le huis clos feutré d’une maternité parisienne, dix femmes traversent l’épreuve de l’accouchement. Face à elles, Clémence, une infirmière d’un mètre cinquante-cinq à peine, incarne le soin dans ce qu’il a de plus humain : prendre soin pendant et après de chaque femme venue accoucher. Tenter de leur laisser un peu de douceur même quand certaines repartent les bras vides.

Le silence aussi parfois en bandoulière… en garrot…

Dix chapitres, dix “portes”, comme autant de seuils de vie. 

Le roman n’est ni médical ni théorique : il parle du réel, dans ce qu’il a de douloureux, de miraculeux, de profondément humain.

Et la plume de Lise Marzouk : « forte », le mot juste, aguerrie à l’attente, à la peur, à l’espoir…

Chroniques

*Lettres*

*Lettres* de Guillaume Dreidemie ou Chute libre vers la lumière

Guillaume Dreidemie écrit comme on creuse. Avec les mains. Avec le souffle. Avec la patience et l’instinct d’un archéologue. Chaque mot est pierre, silence, cicatrice, trace d’un chant ancien.

L’auteur a une vie double. Philosophe  et poète, il écrit pour faire signe au monde et attend que le monde lui réponde.

Son dernier recueil, *Lettres*  La rumeur libre éditions), ne contient que trois lettres. Trois gouffres lumineux. Habités de voix, d’ombres, de prières.

 — La première lettre est : La lettre du peintre, ou plutôt de son pinceau. L’image n’est pas banale…

Il faut plonger le pinceau dans la matière, dans la lumière, dans le paysage. 

Ici tout est affaire de gravité. 

C’est dans la chute que la vision s’ancre :

« Le jour finissant a noué le lien 

Des roches inoubliables 

Avec l’ombre du peintre… »

Mais ce n’est assez. Guillaume Dreidemie est un homme tourmenté. Un homme en attente :

« …l’écho ne livre 

qu’une voix de rivière, 

à peine un murmure 

qui s’incline au silence,

tout est peut-être mort, alors 

Faut-il peindre plus bas ?

Le poète est à l’écoute. L’oreille contre terre. Pour mieux entendre celle qui pourrait revenir…

— Et c’est la deuxième  lettre. La lettre de la mère.

Cette lettre est plus intime, elle porte une voix. Une voix rude et inquiète. 

La voix vient  de loin. Elle parle de l’oubli. Celui que l’on porte comme un déni :

« Il pèse en vous l’oubli. »

Et il faut délester le fils.. Le délester de l’oubli et laisser place au souvenir. A la douceur nostalgique du souvenir.

Alors la voix met distance, elle vouvoie, elle « ordonne » :

« Car vous allez vous lever, prendre mes os en poudre,

Prendre cette poudre dans votre paume.

Vous aurez peur du vent, de la tempête qui emportera les cendres.

Vous sentirez l’oubli disparaître,

Vous sentirez le pas du souvenir,

Et vous m’entendrez vous dire :

Je vous aime… »

Et la brèche promesse s’ouvre pour la vie, pour l’amour, pour celles qui viendront : 

« Je veux qu’elles chahutent les feuillages en déposant leurs rires. »

Cette lettre bouleverse. La mère  reprend son rôle. Elle pousse le grand enfant à vivre…

 — La troisième lettre, c’est la Lettre à Rome. 

C’est là que le recueil touche à l’écharde sacrée. Celle des exils. 

Le mot « Vivam » scintille fragile, en bordure d’un autre bannissement : Ovide !

« Voici les fleurs vives des Métamorphoses ,

Ovide ! »

Et Rome ici redevient une terre de mythes et de légendes.  On y parle d’oubli encore, mais aussi de mémoire. 

On y pleure, on y espère. Et une forme ancienne d’incantation sourd d’entre les pierres :

« N’oublions jamais de chercher le sens des pierres,

Leurs nervures, pour qu’y paraisse un dieu,

Un geste, que sais-je, déesses ?

Pour que la vie surgisse, de joie ! »

*Lettres* est un recueil minéral. Un site archéologique de « l’éternel retour »

Une présence discrète et insistante le traverse.

Elle tient le texte. Elle l’élève sans l’arracher au sol.

Et Guillaume Dreidemie enroule un long et bouleversant poème autour de blessures fossiles. 

Les nôtres ! Les siennes ! 

Le tout nimbé d’un grand rai de lumière :

« Chercher la lumière.

Ne jamais se confondre avec l’ombre qui se raidit.

Graver une à une les notes de la chanson

Jusqu’au refrain qui vous anime,

Qui vous ranime et laisse bruire

Tous les arbres de votre village, de votre ville, de vos forêts ! »

Guillaume Dreidemie, *Lettres*

La rumeur libre Éditions 

Photos ©Guillaume Dreidemie

Chroniques

*Doux leurres*

*Doux leurres* ou la grâce cabossée du fragment.

Jean-Paul Gavard-Perret a cette façon d’écrire en bordure d’un lieu, d’images, d’un temps qu’il conjugue en bord de mémoire.

*Doux leurres*, son dernier livre, le confirme. 

Déjà cette splendide photo de couverture signée Sylvie Aflalo

Puis le texte qui se présente comme un feuilleté de fragments, « une dérive maîtrisée ».

Et nous reconnaissons  aussitôt la marque de l’auteur. 

Ce tremblé entre les lignes, les mots qui troublent la vue, des personnages qui sortent de l’ombre pour mieux appuyer la perte, le frisson, le temps joie, la bascule.

Cette forme d’écriture  exige une lecture lente entrecoupée de respirations

Une voix singulière s’y déploie, traversée de présences comme Beckett, Cézanne, Pollock, Rimbaud, mais jamais soumise à ces  influences. 

« Ces figures tutélaires sont là comme des échos, des balises ».

Jean-Paul Gavard-Perret creuse son propre sillon, seul, sans filet, dans une langue à vif. 

Il sait le temps qui nous est imparti. Il sait l’écriture à rebours. Il sait l’attention au langage et à ses seuils.

*Doux leurres* devient la camera obscura. 

On y avance à tâtons, parmi les fragments, les souvenirs, le père, la mère, d’autres… et cette figure féminine qui lui fait battre le coeur et aiguise ses fantasmes :

« Le mien (le cœur) tourne encore autour pour rappeler qu’il n’est pas parti. Du moins, pas trop loin, pas en totalité. Mes images pénètrent le regard. 

C’est là que souvent nous vivons. Que nous avons vécu… »

Et nous comprenons qu’il ne d’agit  pas de raconter une histoire, mais d’en disperser les éclats…

Et puis quelle foi tenace en la langue, ses tours, ses plis, ses vertiges :

« Une langue qui tente de dire ce qui se dérobe, ce qui manque, ce qui s’invente ».

Ici écrire c’est résister ! C’est faire du mot une silhouette, un cinéma, une confidence.

*Doux leurres* devient alors une traversée intérieure, un jeu de reflets, un surgit que les mots arrachent à l’ombre.

Et dans le tumulte de ses fragments, Jean-Paul Gavard-Perret nous rappelle que l’écriture est avant tout, un geste de survie :

« L’écriture, dès la moindre petite flamme, a toujours des pensées d’incendie… »

Et Jean-Paul Gavard-Perret continue à fragmenter, mais  à voix basse :

« L’espoir s’amenuise. Je passe et vous aussi, puisque tout s’enroule en spirale dans le noir annoncé des points de suspension…

Lisibles et divisés, ils couturent de leur possible l’incertain… »

*Doux leurres* est un livre sans pathos, mais sans consolation.

Gavard-Perret nous a juste tendu un fil, pour suturer au mieux ce qui a été, ce qui n’a pas été, ce qui peut-être reste à être…

Et nous voici irrémédiablement pris :

« dans l’étreinte trouble d’un texte qui sait mourir tout en renaissant, mot après mot ».

Jean-Paul Gavard-Perret, *Doux leurres*, Éditions Constellations (juin 2025)

Photo de couverture Sylvie Aflalo

Disponible en librairie et sur le net déjà chez Eyrolles et à La Procure.

Chroniques

*Féerie, ma perte*

*Féerie ma perte* ou la splendeur des égarés…

Tout d’abord cette magnifique photo tableau de la couverture.

On y voit une jeune femme à la chevelure enflammée, comme emportée par une bourrasque invisible. Comme si le temps avait saisi un instant de chute ou d’extase. Sa robe rouge et noire, somptueuse, évoque la passion, le sang, la fièvre. Elle est à la fois royale et défaite.

Et plus on regarde et plus cette jeune femme semble comme giflée. C’est la claque de l’abandon, de la perte.

Le décor est sombre, le bois d’une porte encadre la scène…un théâtre. 

« Un castelet. Des marionnettes, une mère toute puissante qui sculpte des poupées  vivantes et au centre Pupa, fille sacrifiée, jouant avec ses doubles comme on rejoue une naissance devenue faute » nous dit la dernière de couverture.

Et Le titre du livre, * Féerie, ma perte*, prend alors tout son sens. 

La féerie n’est plus une échappée vers l’innocence, mais une descente somptueuse et douloureuse dans les replis d’une enfance : 

– Oh ! Maman, ma candeur ensevelie, mon enfance vacante aimaient, sans le savoir, l’enfance…

Il est des livres que nous ouvrons avec grand soin. Nous savons que nous allons y trouver  d’anciennes entailles jamais cicatrisées. 

Paloma Hermina Hidalgo fait crisser les mots dans les plaies. Elle fouette au cuir et jusqu’à la jouissance, une enfance déjà lacérée. 

Au cœur du texte, au cœur de la féerie, la mère. Non pas la mère nourricière, mais la mère origine, la mère faille. Créatrice de poupées désarticulées, elle donne la vie comme on jette un charme. Elle devient le terreau de l’amour qui désaxe.

Et Pupa ne sait plus grandir. Elle est habitée d’un orphelinisme destructeur.

L’écriture de Paloma Hermina Hidalgo, est d’une luxuriance féroce. Baroque, tendue, charnelle, troublante, poétique.

Obsessionnelle  aussi : 

– La vraie nature des choses, c’est Maman…

Tout tangue entre vénération et profanation. Entre sacré et saccagé.

Des halètements comme des suppliques maquillées de rouge sang.

Et les tentatives de purification. 

Ainsi ces vers en exergue. Ils sont en italien et nous tentons une maladroite traduction :

– O giglio giglio quanto sei crescente / Ricordati del ben ch’io ti vỏ sempre »

Ô lys, lys, combien tu es florissant /Souviens-toi du bien que je te veux toujours.

Et l’image de la couverture nous revient en boomerang. Cette  jeune femme comme soufflée par un vent invisible, renversée, offerte ou fauchée… 

La fille poupée, la créature féerique à peine née, déjà condamnée.

Et nous restons là, lecteurs  médusés, à contempler le terrible de l’abandon, de la perte : 

– Ô Maman, que j’ai rendue témoin du pouvoir de mes charmes, détruis, en me changeant, cette beauté qui cause notre luxure…

Nous ne saurons rien de la suite. Le recueil se referme et nous déposons  des fleurs imaginaires sur le « couvercle… ». 

Les fleurs gardent un peu d’eau.

Comme pour exorciser… 

Étions-nous dans une histoire vraie ou une fiction ? Les deux ! Certainement ! 

*Féerie ma perte* est de ces livres qu’on encaisse ! 

Paloma Hermina Hidalgo, *Féerie, ma perte*, Editions de Corlevour / revue la forge

Chez l’éditeur et en librairie le 17 juin 2025

Crédit  photographique : Quentin Caffier

Interviews

L’escale de Jeanne avec Guillaume Basquin

Basquin envers et contre tous ?

Il est éditeur, écrivain, revuiste. 

Il est intraitable (entre autres) sur des citations dans un texte, posées ça et là pour faire « cultivé » :

 « La citation n’est pas un extrait / la citation est une cigale / sa nature est de ne pouvoir se taire… »*

L’écrire, chez Guillaume Basquin, est un acte d’engagement radical, un geste esthétique et politique à contre-courant de la littérature marchande et normée. 

Pour lui, l’écriture n’est pas un simple moyen de raconter, mais une expérience, un corps à corps avec la langue, une façon de désécrire autant que d’écrire.

L’écrire de Basquin est aussi politique, au sens large. 

Non partisan, mais résistant. 

Résistant à la standardisation, à l’édition de masse, à la mort du risque littéraire. 

Son épouse  Christelle Mercier et lui ont créé les  Editions Tinbad et une revue *Les Cahiers de Tinbad*

Guillaume Basquin est un homme doux aux rêves simples, ceux d’une famille heureuse et tendre.

Mais Guillaume Basquin éditeur et auteur est « un insurgé ». Envers et contre tous, il veut sauver le langage, la littérature, le livre papier, la musique et les films en argentique.

Et quand on lui demande quel est son rêve, il sourit ému et pudique et avoue rêver d’être de ces « perdants magnifiques… » !

Basquin envers et contre tous ?

Il faut l’écouter… jusqu’au bout !

Chroniques

*Sois papillon*

« La grosse patte du lion ne peut capturer le papillon. Face à la mort, aux pouvoirs, à tout ce qui enferme, sclérose ou pétrifie, sois un papillon. »

Et nous comprenons déjà avec, en exergue, ces mots d’Henri Gougaud, que le recueil de Marcelle Pâques, *Sois un papillon*, sera un allié contre le vent mauvais. Contre tout ce qui nous enferme. Contre ce qui oppresse le cœur et les mots :

– C’est étroit / les certitudes / comme une ruelle / bordée par des murs oppressants…

Et nous levons tout doucement un loquet de porte. Et nous voilà dans un jardin où des fleurs sauvages côtoient d’autres bien alignées, presque apprivoisées. 

Mais Marcelle Pâques est en urgence des mots. Elle nous les livrent habités d’un grand large, d’une vue imprenable sur un lumineux jour d’été :

– Cet amour là / c’était beau comme un repas de fête / un jour d’été…

Et puis, elle les parent d’un léger tissage un peu prémonitoire et mélancolique : 

– Tout le monde s’active / tricotant une écharpe de souvenirs / Un truc / pour réchauffer la vie / les jours d’hiver / et de grisaille…

Et Marcelle Pâques déroule le fil pour que chaque mot s’ajuste au mieux à l’ordinaire des jours, à la béance de l’absence, à la douleur des guerres, à l’étroit des certitudes…

Mais dans le fil il y a couleur. Celle de l’heure bleue. L’heure magique où :

– L’aurore éparpille / des écharpes douces / de glaces à la fraise…

*Sois papillon* nous a-t-elle dit et le papillon semble gagné de vertige à l’idée que : 

– L’été se meurt / dans la brume d’Ostende…

Mais un papillon sait aussi  le merveilleux du lâcher-prise :

– Lâcher- prise / Se laisser porter / par l’océan des jours / plonger sans crainte / Là / où l’âme s’émerveille…

Et cette magnifique illustration de couverture de Catherine Hannecart traversée par un papillon rouge… 

Toute la vaillance, toute la légèreté, toute la force du papillon était derrière ce petit loquet de porte que nous avons tout doucement soulevé. 

Marcelle Pâques, * Sois un papillon*, Editeur Claude Donnay

Revue et Editions Bleu d’Encre 2025, 48 p., 15 €

Chroniques

*Radieuses*

Deux femmes se répondent, deux voix singulières. 

Pat Ryckewaert (Patricicia  Ryckewaert) et Rachel Rita Cohen ne se connaissaient pas. Elles auraient pu ne jamais se connaître. Le miracle des mots, de leur légèreté à gravir les montagnes, à traverser les silences, à trouver l’autre…

Patricia dit :

– Tu parles / et ta voix-sœur me vient / comme un souffle ininterrompu / Tu parles radieuse / pour ne rien taire / de ce qui te fait vivante / de ce qui nous tient debout

Rachel répond :

– Le mot / Les yeux mouillés / Larme tombe / dans le sable / Dans le bruit de la pierre / Pousse une fleur / Une fleur épice / Vient radieuse / Je viens glisser dans ton poème…

L’une a fui un pays, l’autre une enfance. Toutes deux sont en exil, mais l’exil n’est pas silence. Elles écrivent. Elles chantent surtout. 

C’est un chant fendu et pourtant si tendre…

Et un mot comme une incantation, comme un chapelet que l’on égrène :

Radieuses…Radieuses…Radieuses…

Et dans le mot, quelque chose émerge,  comme un instant de grâce, comme une brèche lumineuse dans le destin, comme une mémoire retrouvée et qu’il faut déposer pour avancer : 

– Je viens vers toi / cueillir la rose des sables / vents du Caire enfouis / dans ta mémoire…

– Je t’entends / Je te vois / Dans le Delta /Gange du Nil / Radieuse…

Le titre du recueil est revendiqué ! Il claque comme une victoire…

Radieuses !

Deux femmes se sont levées et ont levé avec elles tout ce qui les faisait plier … 

L’une avance en sourdine, l’autre frappe à grands coups de tambour.

Et ensemble, elles tissent une étoffe, moirée, soyeuse, fragile…Radieuse :

– Je viens vers toi radieuse et le verbe épicé

– Je sais / Je t’entends / Je te vois …

Radieuses ! Fiat Lux !

Patricicia  Ryckewaert et Rachel Rita Cohen, *Radieuses*, Editions Chevre-feuille étoilée 

Chroniques

*Cendrillon, c’est moi !*

Qu’aurait-elle à nous dire encore Cendrillon ?

Il m’arrive souvent de reprendre un livre. Surtout quand le personnage principal me semble familier. Il y a comme une alerte… 

Ai-je vraiment bien lu, ai-je tout « entendu » ? N’ai-je pas cédé, inconsciemment, à une certaine facilité ?  

Et le personnage de Cendrillon fait partie de ceux qui nous semblent familiers… 

Nous l’avons fréquenté depuis l’enfance, dans tous les récits, sous tous les prismes, dans toutes les versions…jusqu’à *Cendrillon, c’est moi*… Qu’aurait-elle à nous dire encore Cendrillon ? 

Cendrillon, c’est l’histoire du seuil ! C’est le moment juste avant que quelque chose ne bascule. Le pressentiment d’un autre possible.

Ce n’est pas un genre, c’est une condition.

Cendrillon, c’est aussi ce qui fait se lever… 

Comme un regard croisé par hasard, qui fait vaciller la mécanique du quotidien. Une sensualité discrète, un trouble, une faille dans la répétition. Quelque chose commence à exister, sans encore exister tout à fait.

Et puis le soulier, l’histoire du soulier…Le soulier, c’est la trace ! La preuve que Cendrillon a franchi le seuil, qu’elle a osé. Et cela suffit  à faire trembler l’avenir.

Cendrillon, ce n’est pas un conte, c’est une lutte intérieure. Un essai. Une tentative. Un appel à se déplacer, lentement, douloureusement, vers ce que l’on pourrait devenir.

Cendrillon, c’est  l’entre-deux. Ni là où l’on croit être, ni encore là où l’on s’imaginerait vouloir être… Et rien ne sera plus jamais comme avant Même si elle revient à la case départ. Même si le bal est fichu…même si la chaussure de verre est perdue…

Rien ne sera plus jamais comme avant. Parce-que Cendrillon  sait maintenant que quelque chose existe ailleurs, et qu’elle peut s’en approcher. Et un jour elle y retournera. Sans trembler.

La seule chose qui puisse la faire trembler encore, c’est qu’elle soit  réduite à un conte ! A une permission de minuit, à un bal  et à une chaussure de verre !

Maintenant que l’avenir a tremblé, cette assignation à demeure, Cendrillon ne la supportera plus. Pas plus qu’elle ne supportera d’être admise… acceptée…d’être à la merci de l’autre. Des autres.

Charles Perrault dans le conte premier, faisait état de cet accompagnement nécessaire d’une marraine  ou d’un parrain pour être admis, accepté à la Cour…

Mais c’était avant ! Aujourd’hui si les marraines et les parrains sont toujours là, ils sont eux-mêmes devenus le seuil à franchir ! Leur propre fragilité ne rassure plus Cendrillon. 

Plus encore, leur cruauté fait peur. La féerie et la cruauté sont sœurs.

Alors Cendrillon tentera encore et encore de franchir le seuil ! Quitte à se fracasser dans le regard de certains  ou dans un miroir qu’elle traversera quoi qu’il arrive… Cendrillon ne cherche pas la vie consolée, elle veut la vie ! La vie immédiate !

Voilà ce qu’elle avait à  nous dire encore Cendrillon  !

Alain Hoareau, *Cendrillon, c’est moi*, Editions Unicité

Blog-Notes de Alain Hoareau

Yuja Wang, le clavier bien habité. 

D’aucuns retiendront peut-être un déshabillé de scène, d’autres peut-être une virtuosité couvrant la peur du vide, pour ma part je retiendrai une musique déshabillée de superflu et une poésie couvrant le temps de sa nécessaire intelligence. 

Ces préludes de Chopin qui ne sont rien d’autres que des portraits en mouvement, hallucinants, parfois hallucinés, des questions sans réponses, des élans inachevés et à mon avis se situant dans le plus intime et la part la plus sincère du compositeur, méritent bien cette spontanéité, cette émotion toujours à la recherche de la note,  puis de la note suivante,  comme « sans projet défini ». 

Je ne sais pas s’il aurait partagé mon avis, mais j’ai l’impression que cela correspond au propos d’André Gide dans ses *Notes sur Chopin*, je cite : « Chaque modulation dans Chopin, jamais banale et prévue, doit réserver, préserver cette fraîcheur, cette émotion presque craintive d’une nouveauté jaillissante, ce secret d’émerveillement auquel l’âme aventureuse s’expose sur des chemins non tracés d’avance et où le paysage ne se découvre que peu à peu. »

Bien qu’ayant beaucoup écouté Chopin durant mon adolescence, je ne suis pas un spécialiste en la matière, ( en aucune matière d’ailleurs ). Je ne sais pas ce que mes ami(e)s pianistes en penseront mais j’ai trouvé dans cet enregistrement en direct, un clavier bien habité. 

Ces préludes, qui curieusement ne préparent à rien, ne possèdent de sens que pour eux-mêmes, s’échappent du clavier comme des fragments de temps, fragments de vie, tous sens en éveils, voilà qu’ils me touchent plus que d’habitude, au sens figuré comme au sens propre au point de faire moi-même partie du voyage à l’intérieur de ces tableaux. 

Puisqu’il est question de tableaux, dans un tout autre registre, mais ô combien jubilatoire, n’hésitez pas également à l’écouter en replay sur Arte, rubrique Arte concert. Vous la découvrirez, si ce n’est déjà fait, entourée des œuvres de David Hockney. 

Une ode à la vie. 

Interviews

L’escale de Jeanne avec Aline Angoustures

« La nuit je mens / Je prends des trains à travers la plaine / La nuit je mens / Je m’en lave les mains /J’ai dans les bottes des montagnes de questions / Où subsiste encore ton écho… »*

 Une Escale de Jeanne  comme entourée d’un liquide amniotique…Une plongée dans un livre *Où subsiste ton écho* ( Éditions L’incertain).

Et puis le suicide de la mère d’un des personnages du livre.

Une thalasso pour reprendre souffle, sortir de l’apnée…

Une recherche du repos, de rédemption… 

Accepter cet espace de non lieu derrière le miroir…

Accepter sa vie… le seul espace à soi…

Et l’espace est ouvert…

Aline Angoustures peut continuer de chanter. Elle a dressé un bivouac. Son bivouac…

C’est l’écriture…là où la tente est plantée.

Nomade  oui, mais plus jamais errante…

Ni dans le suicide de la mère, ni dans l’échec peut-être de l’éducation du fils… ni …

Celle qui travaille sur le « Droit d’asile, celle qui est Historienne sait maintenant que quoi qu’il arrive, la vie refleurira. 

Pour ses personnages et pour elle…

– Aline Angoustures, *Où subsiste ton écho*, Editions L’Incertain

*La nuit, je mens*, Alain Bashung