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Blog-Notes de Alain Hoareau

En toutes choses, le rythme…

Après Carmen, il est maintenant (encore !) question du Boléro. Celui de Monsieur Ravel bien sûr.

« L’ennui naquit un jour de l’uniformité » écrivait Victor Hugo. Oui, mais là pourtant (encore) on est très loin de l’uniformité et surtout de l’usure !

En toutes choses, le rythme

Je serais tenté de dire : en musique tout est rythme.

Il y a d’abord la « pulsation », (disons le « tempo » pour simplifier), les cellules rythmiques elles mêmes ( blanche, noire, croche, etc ), s’agrégeant en formules plus ou moins complexes. Mais on peut considérer également le retour périodique d’une phrase mélodique, un enchaînement d’accords, les couleurs sonores, comme autant d’éléments rythmiques.

Merci Monsieur RAVEL

L’exemple le plus frappant de toute l’histoire de la musique est sans doute le fameux Boléro de RAVEL.

Considérez une formule rythmique, relativement courte, répétée inlassablement pendant 17 minutes ; un motif mélodique, simple au demeurant, repris lui aussi de la même façon et cela sans qu’à aucun moment l’attention et l’intérêt ne faiblissent.

C’est ici, l’ art orchestral de Ravel qui évite à l’oeuvre de tomber dans un ennui, dans lequel les moyens initiaux auraient dû l’y conduire : entrée successives d’instruments, soit seul ou par famille, dosage des alliances sonores, utilisation précise des qualités d’un instrument à un moment donné de la partition…

Un tempo inflexible, surtout pas de rubato, c’est une machine qui avance ou, selon sa sensibilité, un coeur en mouvement, mais régulier , terriblement régulier.

Ainsi l’oeuvre s’achève dans une apothéose que certains n’ont pas hésité à comparer à l’acte d’amour. Oui, l’acte d’amour est sans précipitation ! On peut le préférer autrement mais quelle déception au final…

L’acte de mort aussi est sans précipitation, car la mort est bien un acte ici, quand on suit pas à pas la cadence qui s’impose. Et au final quelle certitude…

Il est amusant de savoir que Maurice RAVEL considérait son oeuvre comme un simple exercice d’école et que tout élève selon lui était capable d’en faire autant. Laissons lui le droit de minimiser son propre génie, mais si cette partition caracole toujours en tête du hit-parade de la musique classique c’est qu’elle est bien l’exemple de réussite en matière de non-usure du rythme.

Exposition à la Philharmonie de Paris du 3 décembre 2024 au 15 juin 2025

Blog-Notes de Alain Hoareau

L’arène des passions, la reine Carmen…

L’opéra de Georges Bizet, Carmen, scandale et quasi échec à sa création, n’a depuis lors cessé d’enthousiasmer un public qui se presse toujours plus nombreux pour le voir, le revoir, l’écouter, le réécouter comme ce sera probablement le cas en janvier 2025 à l’Opéra Royal.

On peut raisonnablement se poser la question du pourquoi d’un engouement qui ne faiblit pas.

Que n’a-t-on dit de Carmen, la libertaire, la sauvage,  envoyée du diable ou le diable en personne, peu importe. Elle est femme avant tout. Libre ? Plus sûrement désireuse de liberté. 

Et Don José, éternel renonçant, éternel perdant, au paradoxe de la fragilité et de la violence. Il y a de tout cela bien sûr, comme l’attirance du fruit défendu, l’attirance d’un destin qu’on voudrait autre ou du moins sur lequel on aimerait poser une main ferme et directrice. 

Comme ils nous ressemblent ! et il n’y a que la distance de la scène qui nous permet d’affronter l’image de notre propre visage.

L’intensité de ce qui se passe sur la scène, et qui retient justement de façon si hypnotique notre intérêt je la retrouve dans cette phrase que Prosper Mérimé  écrit dans sa nouvelle : « Jamais l’orage n’est si près dans nos montagnes que lorsque le soleil est le plus brillant. »

 Et il y a effectivement le brillant et la chaleur de la musique, la légèreté même, le rouge de force et de passion, le rouge de sang, mélangés qui s’annoncent  dès le début. Nous sommes dans l’arène et nous venons voir le sang sur le sable or. 

Ce sont eux, ce sont nous, nous vivons un peu par procuration. 

Je cède ici la parole à Nietzsche, qui écrivait à propos de Carmen : 

« Et comme la danse mauresque s’adresse à nous en nous apaisant ! Et comme sa mélancolie lascive enseigne la satisfaction à nos désirs toujours insatisfaits ! – Enfin l’amour, l’amour ramené à la nature ! Non pas l’amour d’une « noble jeune fille » ! Pas de sentimentalité ! Mais l’amour comme fatum, comme fatalité, cynique, innocent, cruel, – et voilà justement la nature ! L’amour dont la guerre est le moyen, dont la haine mortelle des sexes est la base ! – Je ne sais pas de circonstance où l’humour tragique, qui est l’essence de l’amour, s’exprime avec une semblable âpreté, trouve une formulation aussi terrible que dans le dernier cri de Don José, avec lequel l’ouvrage se clôt : “Oui, c’est moi qui l’ai tuée, Carmen, ma Carmen adorée !” »

Oui, il y a bien des raisons de venir et revenir vers Carmen, vers la musique de Bizet, même si certaines oreilles méfiantes la qualifient d’hispanisme de pacotille. L’essentiel est bien ailleurs et bien plus vaste. Cette musique en outre a la grâce de donner une éternité égale à la nouvelle de Mérimé, car combien parmi les innombrables spectateurs de l’opéra l’auront lue ? 

Représentation du 14 au 22 janvier 2025 Orchestre de l’opéra royal Direction Hervé Niquet

Blog-Notes de Alain Hoareau

Le phare est un soliste…

Quel est donc ce mystérieux sujet ?

On peut considérer le discours, qu’il soit musical ou verbal, comme l’art de façonner le silence, ce silence qui permet à l’objet de se dessiner dans le miroir qu’est l’auditeur. Il en nait cette relation curieuse et vertigineuse à trois personnages : le soliste, l’auditeur et le silence qui les relie.

Solitude du phare !  Magnifique solitude, liant les bruits de la terre à la fureur de la mer. 

Se retrouver seul face au public, au lecteur, seul avec sa voix, avec son instrument ou seul devant la page blanche, est un moyen privilégié d’ouvrir l’imaginaire d’un auditoire, d’un lectorat et de réveiller ses interrogations.

Lorsque je « prends la parole », je réclame des autres le silence, et s’ils me l’accordent, le sujet se doit d’être important. C’est bien le sujet qui est important, c’est lui qui  concentre l’écoute et le regard et non pas moi… 

Quel est donc ce mystérieux sujet ?

Dialogue imaginaire.

Quand le musicien se retrouve seul, il éprouve souvent le besoin de revenir vers celui qui lui a prodigué tant de conseils, comme on revient vers « l’arbre ami », dont on connait les racines fortes et l’ombre protectrice. Il n’est pas rare alors d’entamer comme un dialogue…

« – J’ai la confiance et la certitude de mon travail, Maître. Mais je sens qu’il me manque encore quelque chose… Que puis-je faire de plus ?

– Tu possèdes la technique, je te l’ai enseignée et puis ton propre don. Mais ils ne seront rien sans l’émotion. L’émotion est seule capable de convaincre. Mais ce n’est pas de ton émotion dont il s’agit, elle ne se transmet pas ; il s’agit de celle que tu dois provoquer. Quant à ton travail, il doit passer totalement inaperçu.

– Est-ce à dire que je dois laisser l’impression d’un voyage réussi et au final celui que l’auditeur aurait lui-même imaginé faire ?

– C’est un peu cela. Tu dois élaborer un programme en tenant compte de quelques éléments : avoir un fil conducteur, un seul, pour la clarté et qui fera lien pour toutes les œuvres jouées. N’oublie pas que dans tout voyage, il doit y avoir des points de repères : toute nouveauté s’appuie et se découvre par ce qui est déjà connu. Et pour poursuivre sur l’idée du voyage, il n’en est pas de meilleur qui ne contienne quelques haltes. Ne les néglige pas, ce sont elles aussi qui donnent du rythme au récital.

– Admettons que tout cela soit réalisé, n’y a-t-il pas au moment fatidique, celui du concert, le risque d’un faux pas ?

– Si, et il faut l’accepter. Andrès Segovia disait que dès que l’on commence à jouer on est en équilibre sur un fil. Mais l’équilibre est un sens qui se travaille et se développe…

– On ne joue pas sur scène comme on joue à la maison et il ne faut surtout pas tenter de retrouver les sensations qu’on avait chez soi, elles ne seront pas au rendez-vous et elles me perdraient. C’est bien cela ?

– Tout à fait. La maîtrise du sujet est le minimum requis, il n’y a pas à y revenir. Mais il faut se préparer à cette nécessaire liberté de jeu au moment « fatidique », comme tu disais tout à l’heure, ne pas être enfermé dans un cadre trop rigide. Les sensations que l’on éprouve sur scène sont très différentes de celles de tous les jours. La notion même de temps est différente. Sur scène tout semble aller plus vite, et on commet souvent l’erreur de ne pas prendre son temps, celui nécessaire à s’accorder, se préparer, respirer à l’intérieur de l’œuvre interprétée. Tout accident prend une dimension plus importante qu’elle n’est réellement. Là aussi il faut se préparer à rétablir l’ordre des choses. En outre, tu es le seul à savoir ce que tu as préparé, alors s’il te semble dévier légèrement de ton chemin, poursuis avec cet instant qui te guide vers ce petit ailleurs, avec cette liberté des improvisateurs dont la grille d’accords est le seul soutien. »

Fin du dialogue

Lecteurs, si vous avez suivi jusqu’ici en conservant quelque intérêt à mes propos, demandez vous qu’avais-je besoin d’autre  chose que ma seule voix pour vous mener jusqu’au mot fin

Si l’exploitation de sa propre solitude ne représente aucun intérêt, le soliste en scène ou le soliste-auteur est nécessairement celui qui part à la recherche de l’autre.

Enfin, pour reprendre un article paru dans le Journal de Genève le 09 octobre 1925 relatant un concert d’Andres Segovia : 

« Andres Segovia est toujours seul avec sa guitare, mais celle-ci devient innombrable. »

Blog-Notes de Alain Hoareau

Schubert, des mots pour des notes

On entre étonnamment dans la musique de Schubert comme dans une auberge familière, à l’intérieur de laquelle, chaque être, chaque objet semblent vous reconnaître. 

Le bois des tables souvent caressé, les sièges que le corps épouse , les odeurs et les sons qui tournent dans l’air. C’est un lieu plein de bruits et de silences, de ces silences qui sont l’exacte distance entre soi et le monde et c’est la musique qui vient  révéler, qui vient témoigner. Qu’importe qu’elle soit question ou réponse : il ne nous est pas donné de savoir mais seulement d’évoquer. Il faudra bien repousser sa chaise et quitter les lieux en saluant les arrivants qui eux auront tôt fait d’oublier vôtre salut. 

Ici , nul monument imposant, écrasant mais une profondeur amicale et solidaire qui vous pénètre, vous grandit et finit par faire de vous le monument de vie que le temps tout à la fois fit naître, élève et abandonnera. 

L’œuvre de Schubert possède cette faculté de nous toucher immédiatement et de nous porter bien au delà de ce que nous pouvons imaginer aussi bien en nous-mêmes que dans le temps. Paradoxalement elle nous plonge « Seul au monde » et par là même étranger, mais à l’écoute de tout ce qui vibre, bruisse, semble parler, tout ce qui pourrait au milieu du silence donner sens et espérance. Étrange ressac, va et vient permanent de la vie à la mort qui oblige à la modestie du Voyage sans attache. 

Si l’émotion nous capte immédiatement et nous submerge, elle ne nous entraine pas moins vers des pensées profondes. S’appliquant à sa solitude il nous renvoie à la nôtre. Sa musique se fait silence duquel nous tirons notre propre plainte. « Etranger je suis venu, étranger je repars », étranger l’un à l’autre, étranger de soi à soi, le tragique est sans recours. Il restera l’écho lointain d’une mélodie, d’un accord, d’un rythme s’effaçant progressivement comme un baume pénétrant la douleur, une prière sans regret, une louange sans attente. 

Nous nous présentons devant tant d’impossibles, l’impossible jonction des parallèles, l’impossible de l’existant, amoncellement de gravas d’où le créateur tient son royaume : une oeuvre d’art, une idée, un malgré-tout de la beauté. Nous ne serons pourtant ni naïvement béats, ni résignés, mais nous resterons au seuil d’une beauté qui sans pouvoir nous sauver, fera jours et nuits, nos jours et nos nuits.