Blog-Notes de Alain Hoareau

L’arène des passions, la reine Carmen…

L’opéra de Georges Bizet, Carmen, scandale et quasi échec à sa création, n’a depuis lors cessé d’enthousiasmer un public qui se presse toujours plus nombreux pour le voir, le revoir, l’écouter, le réécouter comme ce sera probablement le cas en janvier 2025 à l’Opéra Royal.

On peut raisonnablement se poser la question du pourquoi d’un engouement qui ne faiblit pas.

Que n’a-t-on dit de Carmen, la libertaire, la sauvage,  envoyée du diable ou le diable en personne, peu importe. Elle est femme avant tout. Libre ? Plus sûrement désireuse de liberté. 

Et Don José, éternel renonçant, éternel perdant, au paradoxe de la fragilité et de la violence. Il y a de tout cela bien sûr, comme l’attirance du fruit défendu, l’attirance d’un destin qu’on voudrait autre ou du moins sur lequel on aimerait poser une main ferme et directrice. 

Comme ils nous ressemblent ! et il n’y a que la distance de la scène qui nous permet d’affronter l’image de notre propre visage.

L’intensité de ce qui se passe sur la scène, et qui retient justement de façon si hypnotique notre intérêt je la retrouve dans cette phrase que Prosper Mérimé  écrit dans sa nouvelle : « Jamais l’orage n’est si près dans nos montagnes que lorsque le soleil est le plus brillant. »

 Et il y a effectivement le brillant et la chaleur de la musique, la légèreté même, le rouge de force et de passion, le rouge de sang, mélangés qui s’annoncent  dès le début. Nous sommes dans l’arène et nous venons voir le sang sur le sable or. 

Ce sont eux, ce sont nous, nous vivons un peu par procuration. 

Je cède ici la parole à Nietzsche, qui écrivait à propos de Carmen : 

« Et comme la danse mauresque s’adresse à nous en nous apaisant ! Et comme sa mélancolie lascive enseigne la satisfaction à nos désirs toujours insatisfaits ! – Enfin l’amour, l’amour ramené à la nature ! Non pas l’amour d’une « noble jeune fille » ! Pas de sentimentalité ! Mais l’amour comme fatum, comme fatalité, cynique, innocent, cruel, – et voilà justement la nature ! L’amour dont la guerre est le moyen, dont la haine mortelle des sexes est la base ! – Je ne sais pas de circonstance où l’humour tragique, qui est l’essence de l’amour, s’exprime avec une semblable âpreté, trouve une formulation aussi terrible que dans le dernier cri de Don José, avec lequel l’ouvrage se clôt : “Oui, c’est moi qui l’ai tuée, Carmen, ma Carmen adorée !” »

Oui, il y a bien des raisons de venir et revenir vers Carmen, vers la musique de Bizet, même si certaines oreilles méfiantes la qualifient d’hispanisme de pacotille. L’essentiel est bien ailleurs et bien plus vaste. Cette musique en outre a la grâce de donner une éternité égale à la nouvelle de Mérimé, car combien parmi les innombrables spectateurs de l’opéra l’auront lue ? 

Représentation du 14 au 22 janvier 2025 Orchestre de l’opéra royal Direction Hervé Niquet

Vous pourriez aussi aimer...