On entre étonnamment dans la musique de Schubert comme dans une auberge familière, à l’intérieur de laquelle, chaque être, chaque objet semblent vous reconnaître.
Le bois des tables souvent caressé, les sièges que le corps épouse , les odeurs et les sons qui tournent dans l’air. C’est un lieu plein de bruits et de silences, de ces silences qui sont l’exacte distance entre soi et le monde et c’est la musique qui vient révéler, qui vient témoigner. Qu’importe qu’elle soit question ou réponse : il ne nous est pas donné de savoir mais seulement d’évoquer. Il faudra bien repousser sa chaise et quitter les lieux en saluant les arrivants qui eux auront tôt fait d’oublier vôtre salut.
Ici , nul monument imposant, écrasant mais une profondeur amicale et solidaire qui vous pénètre, vous grandit et finit par faire de vous le monument de vie que le temps tout à la fois fit naître, élève et abandonnera.
L’œuvre de Schubert possède cette faculté de nous toucher immédiatement et de nous porter bien au delà de ce que nous pouvons imaginer aussi bien en nous-mêmes que dans le temps. Paradoxalement elle nous plonge « Seul au monde » et par là même étranger, mais à l’écoute de tout ce qui vibre, bruisse, semble parler, tout ce qui pourrait au milieu du silence donner sens et espérance. Étrange ressac, va et vient permanent de la vie à la mort qui oblige à la modestie du Voyage sans attache.
Si l’émotion nous capte immédiatement et nous submerge, elle ne nous entraine pas moins vers des pensées profondes. S’appliquant à sa solitude il nous renvoie à la nôtre. Sa musique se fait silence duquel nous tirons notre propre plainte. « Etranger je suis venu, étranger je repars », étranger l’un à l’autre, étranger de soi à soi, le tragique est sans recours. Il restera l’écho lointain d’une mélodie, d’un accord, d’un rythme s’effaçant progressivement comme un baume pénétrant la douleur, une prière sans regret, une louange sans attente.
Nous nous présentons devant tant d’impossibles, l’impossible jonction des parallèles, l’impossible de l’existant, amoncellement de gravas d’où le créateur tient son royaume : une oeuvre d’art, une idée, un malgré-tout de la beauté. Nous ne serons pourtant ni naïvement béats, ni résignés, mais nous resterons au seuil d’une beauté qui sans pouvoir nous sauver, fera jours et nuits, nos jours et nos nuits.