L’embarquement est immédiat avec l’œuvre de Joaquin Nin qui ouvre le récital d’Elsa Grether et Ferenc Vizi. Un bourdonnement, un bouillonnement, un appel aux sortilèges qui s’achèvera en toute fin de disque dans l’apaisement de la berceuse de Xavier Montsalvage.
Entre temps, des éclats de soleil aux mystères des fontaines, « les sons et les parfums tournent dans l’air »…
Et comme il est question de poésie, car comment concevoir la musique sans poésie et la poésie sans musique, un poète immédiatement m’est venu à l’esprit en écoutant cet enregistrement :
Antonio Machado.
Alors voici un un poème qui me paraît, mieux que toute critique ou analyse musicale rigide et froide, évoquer parfaitement le contenu de ce nouvel opus.
« Le poète est un jardinier. En ses jardins il souffle une brise subtile avec des accords légers de violon, des pleurs de rossignols, des échos d’une voix lointaine et le rire clair de jeunes amants babillant sans fin.
Il y a aussi d’autres jardins. La fontaine, là, lui dit: je te connais, je t’attendais. Et lui, en se voyant dans l’onde transparente : À peine suis-je encore celui-là qui rêvait hier !Il y a aussi d’autres jardins. Les jasmins y regrettent déjà les verveines d’été, et ces jardins sont des lyres d’arôme, douces lyres que fait vibrer le vent froid.
Passent les heures solitaires et sous la lune pleine, les fontaines déjà soupirent dans le marbre, les fontaines chanteuses, et dans l’air l’on entend plus que le bruit de l’eau. »
Alors bien sûr on n’oubliera pas de dire aussi que le programme est virtuose, que le violon est virtuose, que le piano est virtuose, que les deux musiciens sont virtuoses. Mais ce qu’on n’oubliera pas surtout c’est l’émotion du voyage qui restera dans ce silence si particulier qui suit la dernière note.
Bien sûr il y a du brillant et du brillantissime : un Rodrigo qui semble jouer les Paganini ( comment ne pas penser à la Campanella » dans le dernier mouvement de sa sonate, un Sarasate semblant danser plus en diable que Carmen elle-même.
Mais il y a aussi ce Turina, qui m’est si cher, un déchiffreur de terre et d’âme allant directement à l’essentiel sans s’encombrer de fioritures inutiles.
Et pour citer encore Machado :
« Tout passe et tout demeure, mais notre affaire est de passer, de passer en traçant des chemins des chemins sur la mer. »
Quels magnifiques chemins Elsa Grether et Ferenc Visi nous offrent avec ce *Granada*