Blog-Notes de Alain Hoareau

Le phare est un soliste…

Quel est donc ce mystérieux sujet ?

On peut considérer le discours, qu’il soit musical ou verbal, comme l’art de façonner le silence, ce silence qui permet à l’objet de se dessiner dans le miroir qu’est l’auditeur. Il en nait cette relation curieuse et vertigineuse à trois personnages : le soliste, l’auditeur et le silence qui les relie.

Solitude du phare !  Magnifique solitude, liant les bruits de la terre à la fureur de la mer. 

Se retrouver seul face au public, au lecteur, seul avec sa voix, avec son instrument ou seul devant la page blanche, est un moyen privilégié d’ouvrir l’imaginaire d’un auditoire, d’un lectorat et de réveiller ses interrogations.

Lorsque je « prends la parole », je réclame des autres le silence, et s’ils me l’accordent, le sujet se doit d’être important. C’est bien le sujet qui est important, c’est lui qui  concentre l’écoute et le regard et non pas moi… 

Quel est donc ce mystérieux sujet ?

Dialogue imaginaire.

Quand le musicien se retrouve seul, il éprouve souvent le besoin de revenir vers celui qui lui a prodigué tant de conseils, comme on revient vers « l’arbre ami », dont on connait les racines fortes et l’ombre protectrice. Il n’est pas rare alors d’entamer comme un dialogue…

« – J’ai la confiance et la certitude de mon travail, Maître. Mais je sens qu’il me manque encore quelque chose… Que puis-je faire de plus ?

– Tu possèdes la technique, je te l’ai enseignée et puis ton propre don. Mais ils ne seront rien sans l’émotion. L’émotion est seule capable de convaincre. Mais ce n’est pas de ton émotion dont il s’agit, elle ne se transmet pas ; il s’agit de celle que tu dois provoquer. Quant à ton travail, il doit passer totalement inaperçu.

– Est-ce à dire que je dois laisser l’impression d’un voyage réussi et au final celui que l’auditeur aurait lui-même imaginé faire ?

– C’est un peu cela. Tu dois élaborer un programme en tenant compte de quelques éléments : avoir un fil conducteur, un seul, pour la clarté et qui fera lien pour toutes les œuvres jouées. N’oublie pas que dans tout voyage, il doit y avoir des points de repères : toute nouveauté s’appuie et se découvre par ce qui est déjà connu. Et pour poursuivre sur l’idée du voyage, il n’en est pas de meilleur qui ne contienne quelques haltes. Ne les néglige pas, ce sont elles aussi qui donnent du rythme au récital.

– Admettons que tout cela soit réalisé, n’y a-t-il pas au moment fatidique, celui du concert, le risque d’un faux pas ?

– Si, et il faut l’accepter. Andrès Segovia disait que dès que l’on commence à jouer on est en équilibre sur un fil. Mais l’équilibre est un sens qui se travaille et se développe…

– On ne joue pas sur scène comme on joue à la maison et il ne faut surtout pas tenter de retrouver les sensations qu’on avait chez soi, elles ne seront pas au rendez-vous et elles me perdraient. C’est bien cela ?

– Tout à fait. La maîtrise du sujet est le minimum requis, il n’y a pas à y revenir. Mais il faut se préparer à cette nécessaire liberté de jeu au moment « fatidique », comme tu disais tout à l’heure, ne pas être enfermé dans un cadre trop rigide. Les sensations que l’on éprouve sur scène sont très différentes de celles de tous les jours. La notion même de temps est différente. Sur scène tout semble aller plus vite, et on commet souvent l’erreur de ne pas prendre son temps, celui nécessaire à s’accorder, se préparer, respirer à l’intérieur de l’œuvre interprétée. Tout accident prend une dimension plus importante qu’elle n’est réellement. Là aussi il faut se préparer à rétablir l’ordre des choses. En outre, tu es le seul à savoir ce que tu as préparé, alors s’il te semble dévier légèrement de ton chemin, poursuis avec cet instant qui te guide vers ce petit ailleurs, avec cette liberté des improvisateurs dont la grille d’accords est le seul soutien. »

Fin du dialogue

Lecteurs, si vous avez suivi jusqu’ici en conservant quelque intérêt à mes propos, demandez vous qu’avais-je besoin d’autre  chose que ma seule voix pour vous mener jusqu’au mot fin

Si l’exploitation de sa propre solitude ne représente aucun intérêt, le soliste en scène ou le soliste-auteur est nécessairement celui qui part à la recherche de l’autre.

Enfin, pour reprendre un article paru dans le Journal de Genève le 09 octobre 1925 relatant un concert d’Andres Segovia : 

« Andres Segovia est toujours seul avec sa guitare, mais celle-ci devient innombrable. »

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