Interviews

L’escale de Jeanne avec Valère-Marie Marchand

« La vie me porte et je la porte »

Georges Haldas

Valère-Marie Marchand est de celles et ceux qui pourraient en faire leur devise également.

Elles est auteure, journaliste. Elle conduit avec talent son émission de radio : Bibliomanie.

Elle est née presque dans « un atelier » et c’est cette part de l’art,  qu’elle chronique dans la Gazette Drouot.

Une Escale de Jeanne avec une invitée aux multiples talents. 

Plusieurs livres magnifiques à son actif et ici « Spleen au lavomatic » (Éditions Heliopoles)

Un formidable fresque dans un lieu de hautes solitudes et pourtant tellement habité.

L’espace temps et les cycles des machines. L’espace temps et la vie qui comme le linge s’essore… essore…

Et puis l’eau… le miracle de l’eau…mon invitée aime l’eau et c’est une grâce pour une Escale.

Elle aime le visible et l’invisible des gens et des choses…

« L’écriture est une façon d’écarter le mur d’apparence qui nous entoure » dit Nathalie Sarraute.

Et elle pousse fort et loin les murs cette « athlète » de l’écriture qu’est Valère-Marie Marchand.

Et nous l’en remercions infiniment 

Chroniques

*Crever la nuit*

Vol de nuit…

Dans *Crever la nuit*, Philippe Colmant sculpte son insomnie. Elle porte un constat. Une attente. Des heures.

 L’écriture serrée, tendue comme une montre qui bat trop fort dans le silence. Les heures s’étirent, et avec elles, le vide. 

Le “je” et le “tu” essaient de combler le manque du “nous”, cette absence centrale qui pulse dans chaque page.

Tout commence à 21h06 et déjà l’aveu :

– Quelqu’un a renversé la nuit…

– Cent mètres carrés de solitude, c’est beaucoup. C’est trop.

Une robe bleu nuit traverse le livre comme un fantôme, vêtement de l’autre, de l’amour parti ou défait. 

Et le temps devient matière. 

La nuit, interminable est ici personnage principal, muse sombre d’heures scandées.

Philippe Colmant cisèle des phrases d’urgence dans une lenteur imposée. Chaque mot est pesé, chaque silence entendu. Les illustrations, sombres, épaississent encore cette “œuvre au noir”, ajoutant  à l’asphyxie ambiante.

L’insomnie n’est pas juste une veille, un manque à dormir. C’est une vie qui défile. 

La lampe allumée pour ne pas rester seul dans le noir. 

Mais la confidence tombe :

-Ton absence me noie…

Et  Philippe Colmant sculpte cette nuit, l’illustre de dessins… 

*Crever la nuit* est son « œuvre au noir ».

Nous saurons que :

– Quatre messages sont restés sans réponse…

Nous lirons également  :

– La paume de l’espoir me tend un embryon de poème…

Nous ne dirons pas plus. 

Ou alors peut-être un indice temps :

– L’aube se lève. Il est 6h33…

Philippe Colmant, *Crever la nuit*, Editions Le Coudrier (Collection Coudraie)

Chroniques

*Poudre de plomb*, un éclat dans la tempe…

« …Il n’y avait pas que toi dans la famille qui était fragile. Le monde de grands dans lequel nous avons grandi, était traversé de névroses qui agrégeaient aux talents intellectuels et artistiques, de graves carences identitaires. Alors, comme dans bien des familles françaises, ça buvait sec pendant les repas, mais pas que du très bon vin. Nous étions de sangs mêlés et de nationalités rassemblées. Il y avait aussi des alcools d’origines variées qui semblaient apporter la joie et les rires nécessaires à l’équilibre de ces adultes instables. J’ai traversé cette enfance en prenant l’habitude de voir les adultes compenser une espèce de vide intérieur. Toi et moi, nous posions un regard sans concession sur ces parents qui étaient censés nous sécuriser, nous protéger.Leurs transgressions nous autorisaient à les observer avec une pointe de cynisme candide, sans que nous ayons conscience des blessures que leurs inconséquences provoquaient à l’intérieur de nous… »

J’avais lu *La retenue* (éditions des femmes-Antoinette Fouque) de Corinne Grandemange Auteure.

J’avais lu entre les lignes… *La retenue* était de mise. C’était…le titre.

Dans *Poudre de Plomb* (Avallon et Co), Corinne Grandemange dit beaucoup. 

La retenue n’est plus vraiment de mise. Marie, la cousine tant aimée est morte de cette éducation « libre », ce non engagement des parents. 

Bien sûr, il y a toujours l’amour. Il frôle l’inconscience parfois. Il devient même sans « frontière ».

Les récits  de Corinne Grandemange sont d’une rare intensité. Peut-être les lourds et terribles secrets de famille. Peut-être les terribles silences qui se transmettent  de génération en génération. 

J’ai posé *Poudre de plomb* près de moi, sur un banc. Dans ce jardin où je suis en cette belle journée de printemps, des enfants jouent entourés d’adultes.

Le cœur lourd, je n’ai pu m’empêcher de penser combien d’entre eux souffrent à mon insu de silence, de secrets, de famille présentes/absentes et déstructurées. 

J’ai regardé à nouveau ce livre d’un bleu dérangeant et j’ai pensé à Corinne, à ses combats, à sa retenue, à sa façon aujourd’hui de raconter « Marie », de se raconter elle-même, un peu plus.

Et me sont revenus  ces mots magnifiques de Kenneth White :

– Pendant qu’ils sont tous occupés à leur plan d’avenir, à leurs bruyantes gesticulations sur la scène, je me tiens à l’écart sur mes hauteurs, tout seul, battant du vieux tambour de chaman…

Corinne Grandemange, *Poudre de plomb*,

Editions  Avallon & Co

Interviews

Dan Burcea en Lettres Capitales

Nous avions 15 mn pour parler de l’arrivée  en France.

Les trains de Roumanie s’arrêtent en Gare de l’Est. Et Dan Burcea n’oubliera jamais la Gare de l’Est

On arrive dit-il et on regarde devant…

La route de l’exil, la gratitude toujours envers le pays d’accueil. 

Les langues  et la beauté de chacune, l’émotion de voir les mots se « rencontrer ».

La critique littéraire et combien il faut être humble et aller dans le mystère de l’auteur lui-même pour offrir cadeau au lecteur…

15 mn c’est si peu… et 15 mn  c’est parfois beaucoup quand on entend l’autre dire dans sa langue maternelle, un magnifique poème et puis le traduire « en live » et puis, toujours ému, repartir vers la langue natale et dire encore et sourire et se laisser submerger.

15 mn de grande sincérité…

Interviews

L’escale de Jeanne avec Florence Crinquand.

« …L’estampe monotype c’est un tirage unique, irrépétable, ce qui donne à l’œuvre une qualité précieuse, presque vivante…” 

Et une jeune femme entre en mouvement. Elle prend le risque de « l’accident ». Elle sait que ce sera un jet unique. Irréparable…irréparable… merveilleux

Et c’est un effeuillé de gestes, de couleurs, de passion, de solitude, de présence au monde

Cette jeune femme, c’est Florence Crinquand.

Florence et l’estampe monotype. La gestuelle, sa façon de s’absenter à tout quand elle travaille. 

Florence Crinquand et l’atelier… *Les doigts dans la presse*

Et l’on apprend le papier Japon, le gris de peine, les couleurs…

Calme, frondeuse, souriante, tranquille, passionnée, une jeune femme talentueuse déplie un froissé de papier noble, de frémissements, de créativité…

Une Escale hors zone, entre absence et présence née une œuvre

L’escale de Jeanne avec Florence Crinquand.

Florence est la fille de Christine Lorent et la belle fille de Pierre Perrin

On retrouvera une de ses estampes en couverture du livre en cours de Pierre 

Merci infiniment au Café Restaurant Les Éditeurs pour le formidable accueil 

Interviews

L’escale de Jeanne avec Stéphanie Cals

« Trois petites notes de musique ont plié boutique au creux du souvenir

C’en est fini de leur tapage, elles tournent la page  et vont  s’endormir »

Et elle a tourné la page Stéphanie Cals. La page d’avant, celle du temps où elle était avocate…

Une jeune femme avec un regard à hauteur d’espoir semble à la fois traverser une zone blanche, mais aussi tournoyer heureuse…

Elle déroule les carnets nomades de celles qui une fois parties, ne cessent jamais de partir.

Trop longtemps assignée au silence d’une vie « rangée », elle se dénonce elle-même dans ses mots, ses photos, cet idéal parfois impossible mais qu’elle aime à imaginer.

Elle se taillade des petites coupures dans le cœur à chaque fois de trop où le soir tombe vite.

Et puis, elle se réenchante. Un projet, une promesse, un clair de lune…

Elle est même partie faire le tour du monde . À la recherche de quoi… d’elle-même peut-être. 

Aujourd’hui, elle écrit, prend des photos et avant tout, elle vibre sur scène… Comédienne,  car c’est également son métier. 

C’est peut-être  le seul métier qui lui permet d’être plusieurs. 

Elle a besoin de cette pluralité…

Elle a également une Société de « Coaching » et accompagne en formatrice et conférencière des personnes qui ont besoin de se sentir plus adaptés à un métier, une situation, autre… 

Habitée d’urgence Stéphanie Cals? Probablement. Des terres lointaines l’habitent encore ? Certainement.

Mais… parait-il,  quand elle cuisine Stéphanie, elle met de la musique et elle chante…

Et elle devient invincible la fille de la vidéo …

Merci au Café Restaurant Les Éditeurs de nous avoir accueillis formidablement comme toujours

Blog-Notes de Alain Hoareau

*L’oiseau de feu*, l’incendie salutaire

*L’oiseau de feu* de Stravinsky, l’exemple même de l’orchestration qui met à part égale l’ensemble et l’individuel qui constitue l’ensemble. 

La magnificence et la force de la communion sonore, la présence de la voix individuelle, irremplaçable dans son unicité. 

L’oiseau de feu , le multicolore et la clarté, l’un et le tout. 

Tels sont les mots immédiats qui me sont venus à la réécoute hier soir de ce concert donné au Louvre par l’orchestre de Paris sous la direction de Pierre Boulez. 

Et voici comment Pierre Boulez évoquait l’orchestration de *L’oiseau de feu* : 

« La maîtrise orchestrale s’y affirme avec une vigueur et une verdeur que je ne puis comparer qu’à celles de la Symphonie Fantastique de Berlioz (bien que je sache que Stravinsky n’aimait pas spécialement Berlioz… ). Je dirais volontiers que la modernité de l’orchestration du XIXe siècle s’est révélée dans la Symphonie Fantastique, de même qu’elle s’est révélée dans l‘Oiseau de Feu. Une virtuosité innée s’y manifeste, commune aux deux compositeurs, et révélatrice de leur génie poétique. »

Une musique fascinante et terriblement inquiétante, légende source mais d’une modernité permanente : il semblerait que nous n’en finissions jamais de combattre pour la liberté. Résonance terriblement actuelle…

Et le chef Boulez de déclarer également : 

« Je vois en effet, dans l’Oiseau de Feu une espèce d’avidité à se saisir de la musique déjà existante pour la transmuter en un objet agressivement personnel.[…] Nous sommes donc parfaitement en mesure d’apprécier la vivacité avec laquelle le ferment d’une pensée créatrice a entrepris son travail initial. »

Quant à la direction de Pierre Boulez : la précision et la clarté qui nous fait croire que nous sommes capables de saisir le sens et la structure de l’œuvre comme si nous étions à sa place.  

Nous prenons ce plaisir, nous le goûtons et puis nous redescendons sur terre très humblement mais peut-être un peu meilleur. 

Nous avons tenu un instant la plume magique de l’oiseau qui nous a donné la liberté de comprendre. 

Interviews

L’escale de Jeanne avec Martine Rouhart

«Sur l’eau tranquille de la transparence…patientent les orages / tant d’ardeur inavouée / et l’on entend battre / les pas lointains / de nos émeutes intérieures… »

Martine Rouhart raconte en poèmes, les petits naufrages du quotidien et les rais de lumière nécessaires pour repartir, pour être présent au monde… comme une ode à cette vie belle…

Elle a des phrases courtes, comme des éclats. 

C’est une Escale délicate, feutrée, profonde :

– Laisse les phrases / reprendre haleine / osciller dans leur incertitude / entre douceur / et inquiétude…

Chroniques

*Les roses et les épines*

Rinaldi le corrosif, le tendre et le désenchanté…

Angelo Rinaldi et ses Chroniques littéraires, reprises dans un formidable découpage dans *Les roses et les épines* aux Editions Des Instants.

Angelo Rinaldi est romancier et critique littéraire, il a cette forme d’écriture luxuriante, poétique, âpre et toujours comme à chaque livre, il aime nous faire « lire/voir » les secrets de famille, les destins en coulisses, la « génétique » de l’auteur, avec ce qu’il considère parfois comme les tares, comme la facilité, les zones de confort…

D’autres fois, il est follement épris et de l’histoire et de l’écriture. Et il nous fait pénétrer un Éden caché, des personnages magnifiques et bouleversants.

Il ne sait pas écrire sans exagération qu’elle soit cinglante ou au contraire élogieuse.

Et puis, une fois le phrasé devenu marque de fabrique, il est difficile de changer… on perd des lecteurs, « des followers » 

dirions-nous aujourd’hui. 

Et nous retrouvons toujours ce même sourire , cette même hâte  quand on voit  le nom d’Angelo Rinaldi. Nous savons que ce sera jubilatoire… nous savons que nous allons nous émouvoir, détester, le trouver totalement injuste et puis sourire à nouveau. Il a touché en nous quelque chose d’enfoui qui s’émeut encore…

Et c’est seulement en lisant *Les roses et les épines*, aux Éditions  des instants que j’ai découvert combien Angelo Rinaldi est  plus tendre envers les femmes.

Était-ce une forme de tendresse ou d’admiration de les voir sur les terrains où certains se pensaient conquistadors ?

Bien sûr, Duras c’est « la Castafiore » et d’autres rares qu’il a fortement éraflées.

Bien sûr Colette, Yourcenar et d’autres qu’il a « follement aimées ». 

Mais dans l’ensemble, il les a épargnées. Surtout les contemporaines.

Ainsi Angot, Darrieussecq et d’autres qu’il aurait pu tenter de mettre au tapis. Certes, elles auraient répondu. Fortement ! Mais je crois qu’il avait en lui une forme de tendresse. Non pas de les préserver, mais ne pas en rajouter…

Son côté Corse ? Son côté Rinaldi le Magnifique ? Lui qui, sans tendresse, fait descendre Fitzgerald de la nuit…?

Dans  *Les roses et les épines*, ce formidable effeuillage entre « un peu, beaucoup, passionnément, à la folie et pas du tout », nous fait aller  droit au but… et puis toute la beauté de la page de couverture… 

Chacune, chacun ira chercher un nom, une critique, une interview…et gardera quelque chose…

Pour ma part, je garderai « beaucoup ».

Je garderai Tchekov*… pour Tchekov, pour la Cerisaie, pour :

 – La musique intime et poignante du quotidien. Le ciel dans l’encadrement d’une fenêtre de la Cerisaie. 

Angelo Renaldi, *Les roses et les épines* (Chroniques littéraires), Editions des Instants

*A propos de Tchekov, par Henri Troyat, Flammarion (1984)

Chroniques

*Une écharde dans la chair*

Chair à vif …

« Il y a des blessures qui nous forcent à descendre en nous-mêmes. Des blessures qui déchirent la chair, mais qui ouvrent le cœur. »

*Une écharde dans la chair*, de Réginald Gaillard, c’est l’histoire d’une vulnérabilité. D’un aveu de vulnérabilité. De vertige. D’une forme de folie. Charnelle l’histoire… terrible l’apnée, Sacrée et pleine de grâce  la remontée… 

Une femme est venue. Une femme s’en est allée. 

Et toute la souffrance de celui qui reste éclate. Elle tonne cette souffrance. Elle tonne la chair en manque. Elle tonne la descente aux enfers, elle tonne  la faim de l’autre :

– La nuit remue / elle me triture les tripes / elle me ramène à cette privation, toi que… 

Et toute la lenteur d’un temps vide, sans pitié :

– Tout résonne de toi, tout autour / sauf moi, instrument aphone / qui ne joue ni ne chante plus.

Et l’écharde continue de faire mal malgré les suppliques… et bien sûr on entend au loin l’apôtre Paul : « … Il m’a été mis une écharde dans la chair… ». 

Et Réginald Gaillard  continue son récit comme un séisme et ses répliques. Et vient enfin le moment où il consent…Où il accepte de faire face à ce soi ! Et il le déplie  en un formidable chant :

– Cette écharde, invisible aux yeux du monde, est le lieu même de ma rencontre avec la grâce. 

Toute la beauté de l’écriture de Reginald Gaillard. C’est un poète ne l’oublions pas. 

Ce recueil est également une quête. Une quête de pardon peut-être. Et la voix au fur et à mesure se fait grave pour appeler Celui qui doit entendre. Le rythme habite le recueil en entier. Les mots s’accordent à chaque frisson, à chaque manque, à chaque aube et soudain les mots rencontrent d’autres mots… et c’est la grâce… l’état de grâce…le miracle de la foi. 

« Le regard imagine une terre espérée, elle pourrait être une phrase,

– ou, mieux, un vers, un seul vers qui tiendrait, en suspens, entre nos lèvres »

Réginald Gaillard, *Une écharde dans la chair*, Editions de Corlevour / revue la forge 

Magnifique Préface de Michael Edwards de l’Académie française