Chroniques

*Radieuses*

Deux femmes se répondent, deux voix singulières. 

Pat Ryckewaert (Patricicia  Ryckewaert) et Rachel Rita Cohen ne se connaissaient pas. Elles auraient pu ne jamais se connaître. Le miracle des mots, de leur légèreté à gravir les montagnes, à traverser les silences, à trouver l’autre…

Patricia dit :

– Tu parles / et ta voix-sœur me vient / comme un souffle ininterrompu / Tu parles radieuse / pour ne rien taire / de ce qui te fait vivante / de ce qui nous tient debout

Rachel répond :

– Le mot / Les yeux mouillés / Larme tombe / dans le sable / Dans le bruit de la pierre / Pousse une fleur / Une fleur épice / Vient radieuse / Je viens glisser dans ton poème…

L’une a fui un pays, l’autre une enfance. Toutes deux sont en exil, mais l’exil n’est pas silence. Elles écrivent. Elles chantent surtout. 

C’est un chant fendu et pourtant si tendre…

Et un mot comme une incantation, comme un chapelet que l’on égrène :

Radieuses…Radieuses…Radieuses…

Et dans le mot, quelque chose émerge,  comme un instant de grâce, comme une brèche lumineuse dans le destin, comme une mémoire retrouvée et qu’il faut déposer pour avancer : 

– Je viens vers toi / cueillir la rose des sables / vents du Caire enfouis / dans ta mémoire…

– Je t’entends / Je te vois / Dans le Delta /Gange du Nil / Radieuse…

Le titre du recueil est revendiqué ! Il claque comme une victoire…

Radieuses !

Deux femmes se sont levées et ont levé avec elles tout ce qui les faisait plier … 

L’une avance en sourdine, l’autre frappe à grands coups de tambour.

Et ensemble, elles tissent une étoffe, moirée, soyeuse, fragile…Radieuse :

– Je viens vers toi radieuse et le verbe épicé

– Je sais / Je t’entends / Je te vois …

Radieuses ! Fiat Lux !

Patricicia  Ryckewaert et Rachel Rita Cohen, *Radieuses*, Editions Chevre-feuille étoilée 

Chroniques

*Cendrillon, c’est moi !*

Qu’aurait-elle à nous dire encore Cendrillon ?

Il m’arrive souvent de reprendre un livre. Surtout quand le personnage principal me semble familier. Il y a comme une alerte… 

Ai-je vraiment bien lu, ai-je tout « entendu » ? N’ai-je pas cédé, inconsciemment, à une certaine facilité ?  

Et le personnage de Cendrillon fait partie de ceux qui nous semblent familiers… 

Nous l’avons fréquenté depuis l’enfance, dans tous les récits, sous tous les prismes, dans toutes les versions…jusqu’à *Cendrillon, c’est moi*… Qu’aurait-elle à nous dire encore Cendrillon ? 

Cendrillon, c’est l’histoire du seuil ! C’est le moment juste avant que quelque chose ne bascule. Le pressentiment d’un autre possible.

Ce n’est pas un genre, c’est une condition.

Cendrillon, c’est aussi ce qui fait se lever… 

Comme un regard croisé par hasard, qui fait vaciller la mécanique du quotidien. Une sensualité discrète, un trouble, une faille dans la répétition. Quelque chose commence à exister, sans encore exister tout à fait.

Et puis le soulier, l’histoire du soulier…Le soulier, c’est la trace ! La preuve que Cendrillon a franchi le seuil, qu’elle a osé. Et cela suffit  à faire trembler l’avenir.

Cendrillon, ce n’est pas un conte, c’est une lutte intérieure. Un essai. Une tentative. Un appel à se déplacer, lentement, douloureusement, vers ce que l’on pourrait devenir.

Cendrillon, c’est  l’entre-deux. Ni là où l’on croit être, ni encore là où l’on s’imaginerait vouloir être… Et rien ne sera plus jamais comme avant Même si elle revient à la case départ. Même si le bal est fichu…même si la chaussure de verre est perdue…

Rien ne sera plus jamais comme avant. Parce-que Cendrillon  sait maintenant que quelque chose existe ailleurs, et qu’elle peut s’en approcher. Et un jour elle y retournera. Sans trembler.

La seule chose qui puisse la faire trembler encore, c’est qu’elle soit  réduite à un conte ! A une permission de minuit, à un bal  et à une chaussure de verre !

Maintenant que l’avenir a tremblé, cette assignation à demeure, Cendrillon ne la supportera plus. Pas plus qu’elle ne supportera d’être admise… acceptée…d’être à la merci de l’autre. Des autres.

Charles Perrault dans le conte premier, faisait état de cet accompagnement nécessaire d’une marraine  ou d’un parrain pour être admis, accepté à la Cour…

Mais c’était avant ! Aujourd’hui si les marraines et les parrains sont toujours là, ils sont eux-mêmes devenus le seuil à franchir ! Leur propre fragilité ne rassure plus Cendrillon. 

Plus encore, leur cruauté fait peur. La féerie et la cruauté sont sœurs.

Alors Cendrillon tentera encore et encore de franchir le seuil ! Quitte à se fracasser dans le regard de certains  ou dans un miroir qu’elle traversera quoi qu’il arrive… Cendrillon ne cherche pas la vie consolée, elle veut la vie ! La vie immédiate !

Voilà ce qu’elle avait à  nous dire encore Cendrillon  !

Alain Hoareau, *Cendrillon, c’est moi*, Editions Unicité

Blog-Notes de Alain Hoareau

Yuja Wang, le clavier bien habité. 

D’aucuns retiendront peut-être un déshabillé de scène, d’autres peut-être une virtuosité couvrant la peur du vide, pour ma part je retiendrai une musique déshabillée de superflu et une poésie couvrant le temps de sa nécessaire intelligence. 

Ces préludes de Chopin qui ne sont rien d’autres que des portraits en mouvement, hallucinants, parfois hallucinés, des questions sans réponses, des élans inachevés et à mon avis se situant dans le plus intime et la part la plus sincère du compositeur, méritent bien cette spontanéité, cette émotion toujours à la recherche de la note,  puis de la note suivante,  comme « sans projet défini ». 

Je ne sais pas s’il aurait partagé mon avis, mais j’ai l’impression que cela correspond au propos d’André Gide dans ses *Notes sur Chopin*, je cite : « Chaque modulation dans Chopin, jamais banale et prévue, doit réserver, préserver cette fraîcheur, cette émotion presque craintive d’une nouveauté jaillissante, ce secret d’émerveillement auquel l’âme aventureuse s’expose sur des chemins non tracés d’avance et où le paysage ne se découvre que peu à peu. »

Bien qu’ayant beaucoup écouté Chopin durant mon adolescence, je ne suis pas un spécialiste en la matière, ( en aucune matière d’ailleurs ). Je ne sais pas ce que mes ami(e)s pianistes en penseront mais j’ai trouvé dans cet enregistrement en direct, un clavier bien habité. 

Ces préludes, qui curieusement ne préparent à rien, ne possèdent de sens que pour eux-mêmes, s’échappent du clavier comme des fragments de temps, fragments de vie, tous sens en éveils, voilà qu’ils me touchent plus que d’habitude, au sens figuré comme au sens propre au point de faire moi-même partie du voyage à l’intérieur de ces tableaux. 

Puisqu’il est question de tableaux, dans un tout autre registre, mais ô combien jubilatoire, n’hésitez pas également à l’écouter en replay sur Arte, rubrique Arte concert. Vous la découvrirez, si ce n’est déjà fait, entourée des œuvres de David Hockney. 

Une ode à la vie. 

Interviews

L’escale de Jeanne avec Aline Angoustures

« La nuit je mens / Je prends des trains à travers la plaine / La nuit je mens / Je m’en lave les mains /J’ai dans les bottes des montagnes de questions / Où subsiste encore ton écho… »*

 Une Escale de Jeanne  comme entourée d’un liquide amniotique…Une plongée dans un livre *Où subsiste ton écho* ( Éditions L’incertain).

Et puis le suicide de la mère d’un des personnages du livre.

Une thalasso pour reprendre souffle, sortir de l’apnée…

Une recherche du repos, de rédemption… 

Accepter cet espace de non lieu derrière le miroir…

Accepter sa vie… le seul espace à soi…

Et l’espace est ouvert…

Aline Angoustures peut continuer de chanter. Elle a dressé un bivouac. Son bivouac…

C’est l’écriture…là où la tente est plantée.

Nomade  oui, mais plus jamais errante…

Ni dans le suicide de la mère, ni dans l’échec peut-être de l’éducation du fils… ni …

Celle qui travaille sur le « Droit d’asile, celle qui est Historienne sait maintenant que quoi qu’il arrive, la vie refleurira. 

Pour ses personnages et pour elle…

– Aline Angoustures, *Où subsiste ton écho*, Editions L’Incertain

*La nuit, je mens*, Alain Bashung

Interviews

L’escale de Jeanne avec Gabriel Boksztejn

« Je crois que l’essentiel de nos vies se vit

complètement par hasard ;

on frappe à une porte au lieu d’une autre

et on reste parce qu’on n’ose pas partir.

Alors nous vivons une vie parallèle 

à celle que l’on pensait vivre

ni meilleure ni moins bonne, 

une autre vie,

et nous devenons une autre personne

que celle qu’on pensait devenir.

Mais la première part de nous même,

celle qui espérait frapper à une autre porte

et se rendre à un point précis de l’existence,

mieux en accord avec l’idée 

que l’on s’était faite de la personne que nous étions,

se croyant destinée à quelque chose de différent,

cette vie-là,

jadis possible, 

à la fois s’efface, comme la buée sur la fenêtre, 

et nous hante encore ; 

nous sommes ce lieu où existe aussi

ce qui n’existe pas… »*

Écrivain, Critique littéraire, aux manettes d’un podcast « Je tiens à cette virgule »

Une Escale de Jeanne aux confins de l’introspection…

Un agent double de lui-même Gabriel Boksztejn.

Passionnant, bouleversant et l’humour toujours…

*Gabriel Boksztejn

Blog-Notes de Alain Hoareau

À propos du film *Les musiciens*


« Pour qu’un quatuor joue juste, il faut que chacun joue un petit peu faux »

Cette phrase comme un raccourci du film. 

L’histoire commune de quatre instruments, quatre musiciens, un compositeur pris dans une sorte huis-clos pour réaliser le rêve d’un mécène décédé. 

Cette phrase comme une nécessaire et vitale adaptation. 

Film musical, magnifique métaphore, un résumé ou plus encore un concentré de vie, d’expérience de vie, d’expérience de soi et de l’autre. 

La trajectoire de ces musiciens que tout prédisposerait à ne pouvoir jouer ensemble, l’affrontement et la remise en question de soi, de son rôle par rapport à l’autre, jusqu’au compositeur lui-même qui retrouve une œuvre dont il a perdu le sens depuis la date de sa composition. 

L’objet instrument verra lui aussi à un moment donné sa remise en question. 

Sans rien dévoiler précisons tout de même qu’il s’agit de quatre Stradivarius réuni pour la première fois. 

Cette phrase comme pour dire qu’il n’existe de réelle beauté que dans l’exercice d’un équilibre. 

Un film qui inscrit avec justesse la musique au cœur du vivant, de l’acte quotidien comme de l’acte exceptionnel, 

Une phrase pour apprendre ou réapprendre. 

Les musiciens reconnaîtront leurs propres expériences les mélomanes sentiront d’un peu plus près la réalité de la vie musicale. 

Et puis cette phrase pour aboutir à cette autre :

«  Quand on regarde un quatuor, il joue. Quand on l’écoute, il danse. »

*Les musiciens*

Film de Grégory Magne

Chroniques

*Le pain des français*

« Zohra, au fond tu ne sais pas mourir comme moi je ne sais pas vivre… »

« Le pain des Français » de Xavier Le Clerc ou le levain de la mémoire…

« Dans les sous-sols du musée de l’Homme à Paris, sont emmagasinés des milliers de crânes indigènes. provenant de collections du 19ème siècle. Le narrateur, Xavier Le Clerc lui-même découvre parmi ces cartons empilés le crâne numéroté d’une fillette kabyle de sept ans, qu’il appellera Zohra. Il tentera d’imaginer sa courte vie, lui racontant en retour ce qu’a été la sienne. ».

Il y a bien sûr la venue en France de ses parents… les silences, le travail, les joies, les offenses…

Mais Xavier Le Clerc écrit un livre d’amour. Cet amour entier qu’il voue pour la France. Pour tout ce que la France lui a apporté. Pour école de la République qui lui a permis non seulement de devenir libre et d’avoir un métier qu’il aime, mais aussi de ne plus jamais accepter l’offense au nom du pain. 

Et l’amour authentique donne le droit de poser des questions. Il donne le droit également de raconter un peu de sa vie, de raconter les images d’un « lointain ».

Zohra  ne sait pas qu’elle est dans un musée. Que son crâne est venu de Kabylie comme une curiosité…

Alors Xavier Le Clerc lui raconte la douceur de l’air de là-bas, la beauté du crépuscule, les fleurs, la montagne et le soleil :

• Zohra, à peine endormie, tu retrouves le crépuscule des montagnes, l’ardente lumière et l’odeur de résine mêlée aux arômes brûlés des lentisques. Je te vois dévaler pieds nus les sentiers caillouteux. Au creux d’un vallon rougeoyant, tu virevoltes, éblouie, les bras grands ouverts. Tu danses comme pour nous consoler, la tête levée vers le ciel en feu… (extrait)

Et la voix de Xavier Le Clerc se fait de plus en plus rauque…

Elle remplit l’espace et le temps… elle est immense cette voix et elle tonne d’un bouleversant  aveu :

• Zohra, au fond, tu ne sais pas mourir comme je ne sais pas vivre…

Oui Zohra, tu ne sais pas mourir comme Xavier Le Clerc ne saurait pas vivre sans terminer de raconter une histoire où le pain serait au centre d’une table, une table d’amour où tout le monde serait peut-être rassemblé et c’est ce peut-être qui ébranle…

Xavier Le Clerc , * Le pain des Français* (Gallimard)

Le titre est l’offense faite au père chez le boulanger…

Interviews

L’escale de Jeanne avec Tylecek

« Tout objet aimé est le centre d’un paradis »

Novalis

Une Escale (avec le concours d’Alain Alain Hoareau) en couleurs, en émotions, une Escale dans un atelier :

Chez Tylek et Tylecek. Lui nous a quittés et elle continue de peindre, de se rappeler, d’avancer et de « voyager » entre Paris et Prague. Prague et Paris.

Il faut écouter Zdenka Tylecek nous raconter la vie en couleurs…

Magie d’une rencontre…

Chroniques

*Suites indiennes* ou l’Inde en clair-obscur

« À la faveur de je ne sais quelle épiphanie sensible, il arrive que le regard migre à l’intérieur du cœur, lequel se déploie et fleurit… »

Il y a des livres  qui nous débordent, nous submergent.

Avec *Suites indiennes*, Elisabeth Barillé ne nous offre pas un récit de voyage, mais un lent détachement vers l’essentiel.

Il s’agit de l’Inde bien sûr.  L’Inde un pays saturé de récits. Trop souvent, elle est réduite à un cliché de couleurs, d’odeurs, de chaos sacré. 

Dans *Suites indiennes*, Élisabeth Barillé prend un contre-pied radical : elle écrit l’Inde en sourdine, dans les blancs, les silences, les gestes retenus. Le livre agit comme un encens discret : il ne cherche pas à imposer, il flotte, il imprègne.

Au fur et à mesure de la lecture, nous comprenons  qu’une femme est en marche. Au fur et à mesure de notre lecture, nous comprenons qu’elle se défait, elle s’allège… pour mieux avancer. Pour mieux entrer dans le paysage

L’auteure ne triche pas. Elle s’en remet au réel de l’Inde, à sa violence douce, à son rythme hors du temps. 

Elisabeth Barillé a le sens du fragment. Elle écrit comme on dépose une offrande. 

*Suites indiennes* est un livre exigeant dans son dépouillement. Il ne cherche pas à séduire. Il n’explique pas l’Inde, il la murmure. Il nous désarme. 

Et peut-être, est-ce cela la vraie littérature du voyage… 

Extrait :

« On voyage depuis son tempérament, et en lui. L’enthousiasme domine le mien.

Qu’y puis-je s’il m’accompagne depuis mes premières nattes, si les épreuves, les échecs, les déconvenues, ne l’ont pas entamé ? Qu’y puis-je si m’enchantent mille et un petits riens ? Je suis ainsi faite : dans mon cœur cohabite une ascète et une frivole enfant.»

Elisabeth Barillé, *Suites indiennes*, Editions Des Instants.