*Parmi toutes les autres* ou si peu…
« Vous étiez revenu. Parmi toutes les autres, vous m’aviez remarquée. »
Opéra de Paris, fin du XIXᵉ siècle.
Adèle a quinze ans. Elle est petit rat à l’Opéra.
Les pieds en sang, le sourire obligé. Grâcieuse toujours.
Parmi les messieurs venus lorgner les ballerines, un regard différent, le peintre des danseuses : Edgar Degas
Un après-midi de mai, quelques mots… et Adèle l’emmène dans sa chambre. Ils s’aimeront.
Elle dira l’éblouissement de ce moment. Elle dira ces arbres de printemps qui bruissent et lui rappellent le bruit de la mer.
Elle sait déjà qu’il ne reviendra plus, mais elle sait aussi que ce « si peu » la tiendra toute une vie.
En partant, Degas lui laisse un dessin, une esquisse : Portrait de famille.
Adèle se mariera, aura un enfant. Lui aimera ailleurs.
Hélène Veyssier signe « un roman d’absence et d’obsession, tout en clair-obscur ».
Un récit où l’amour est plus vaste que l’événement, où l’attente devient l’œuvre.
On y retrouve la cruauté du métier de danseuse d’Opéra à l’époque : la discipline qui dévore, la pauvreté en coulisses, les regards qui marchandent au-delà de la beauté de la danse.
Pourquoi lire ce roman ?
– Déjà pour la grande beauté de l’écriture d’Hélène Veyssier. Elle a ce style dépouillé qui en peu de mots, plante un décor, son paysage, son atmosphère, son arrière-pays.
Et ce personnage d’Adèle ! Il a sûrement existé sous d’autres formes. Il est émouvant pour cela. Ce roman c’est « Adèle ». C’est autour de ce « si peu ».
Degas a peint, dessiné, sculpté les petits rats de l’Opéra avec une intensité quasi obsessionnelle. Mais cette obsession était surtout d’ordre esthétique et sociologique. Il s’intéressait à la mécanique du corps en mouvement, à la discipline, aux coulisses, à la lumière des cintres, à ce que l’œil mondain ne voit pas…Il n’a pas laissé trace d’un grand amour je crois.
– Et puis, parce qu’il y là un vertige. Un immense vertige : comment un instant peut nourrir toute une existence.
– Et aussi, parce-qu’Edgar Degas, sans le vouloir, a offert à Adèle un destin.
Peut-être ajouter, que ce roman/fiction parle un peu de nous. De ces obsessions qui parfois nous habitent et que nous tissons en fils mémoire…. Tantôt comme un filet pour ne pas tout à fait tomber, tantôt comme un fil de cerf-volant pour continuer de nous élancer plus haut… pour continuer de « respirer » en quelque sorte.
Il faut si peu pour « vivre » et Adèle qui continue son soliloque avec Degas bien après la mort du peintre, lui dira :
« Si quelqu’un se souvient de la petite danseuse, alors qu’il entende en écho l’histoire de votre tableau et la mienne et qu’ainsi j’existe »
Et nous savons aujourd’hui qu’elle existe. Et nous ferons écho à sa voix, à sa vie….à ce si peu…
Helene Veyssier – *Parmi toutes les autres* (Éditions Buchet/Chastel)