Gunks* ou l’insouciance en paroi
C’était le temps de l’insouciance, de l’escalade libre, d’une joie de vivre où le principe de précaution n’était pas encore « harnais ».
Ils ont pour royaume une falaise, pour maison un van improbable, pour horizon leur jeunesse.
Le matériel ? Des cordes un peu fatiguées, quelques sangles et …de quoi grimper sans trop se poser de questions.
Pas de principe de précaution en « harnais ». L’époque le permettait…
Nous sommes au début des années 80. Méduz le narrateur, Manuel et Claire traversent l’Atlantique pour se mesurer aux falaises mythiques des Gunks.
Qui sont ces trois jeunes gens, dont deux bons grimpeurs, Claire et Manuel et le troisième Méduz qui l’est un peu moins, mais qui a de bonnes raisons d’y aller :
– Je me demande pourquoi je me retrouve là avec ce très bon grimpeur et cette excellente grimpeuse, et je tente de me convaincre qu’il y a trois bonnes raisons à cela. Primo, Manuel est mon super copain, on s’entraîne ensemble depuis longtemps, et on rêve de ce voyage depuis un bail ; secundo, je parle anglais ; tertio, mais un tertio qui est peut-être un primo, Claire est ma petite copine – enfin, je crois.»
Et puis il y a ce : [in carnets de Claire ]
Il y a toutes les rencontres là-bas. Les modes de grimpe, de vie que l’on compare. Gunks-France.
Et puis Todd… l’accident… une déflagration dans ces instants où rien ne « pouvait arriver »
Et tout le livre nous projette dans cette époque insouciante. Nous y avions laissé aussi de terribles déflagrations nommées Todd. Mais nous avons oublié…
Et nous lisons avec ce petit sourire aux lèvres et peut-être, pour ceux qui ont connu ce temps, un petit clapotis dans les yeux.
Et puis, après avoir ri, s’être émus, avoir un peu comparé avec ses « Gunks » à soi, c’est la fin du livre. La gorge se serre. C’est comme un dernier jour de vacances. C’est comme un été qui ne reviendra pas.
Le trio est mélancolique et nous aussi.
*Gunks* de Nicolas Richard, c’est aussi l’écriture. C’est l’atmosphère que dégage cette écriture qui fore et dans la falaise et dans notre mémoire. Nicolas Richard est traducteur. Le corps à corps avec les mots, il connaît.
Nous sommes conquis dès le début. Et nous « sommes dedans » dès le début. On grimpe avec eux, on rit de leurs manques, de leurs vertiges, des yeux qui s’accrochent…
On respire la liberté des années 80.
Et cette couverture acidulée, colorée, qui penche joyeuse.
Un van jaune, une silhouette avec une chemise, à la Antoine le chanteur, danse.
Et dans le fouillis, la promesse de toute une aventure.
Ce livre, je l’ai « rencontré » par hasard, cet été. J’aime beaucoup quand c’est un lecteur ou une rumeur qui « rapporte » un livre.
Devant la mer, une dame lisait avec un sourire au bord des lèvres. Intriguée, je lui ai demandé ce qu’elle lisait. Elle a levé son livre et m’a montré la couverture. Dans son regard, tout le souvenir de sa propre insouciance.
Alors j’ai su que je voulais ce livre. Que je voulais ce glossaire de la grimpe :
– Friends : coinceurs mécaniques qu’on glisse dans les fissures, baptisés ainsi parce qu’ils sont, vraiment, des amis.
– Monodoigt : trou dans la roche où l’on ne peut loger qu’un doigt. Cruel, mais nécessaire.
Je voulais surtout, à mon tour, « Grimper pour rien. »
C’est une phrase du livre. Elle mène aux sommets… même quand on est nulle comme moi en escalade.
Même quand comme certains ici, n’ont pas connu ce temps insouciant de l’époque.
Allez-y ! Plaquez-vous contre la paroi ! C’est une roche « miraculeuse »
Nicolas Richard, *Gunks, Chronique du temps insouciant*, Editions Arthaud
Magnifiques photographies d’ Olivier Martin Gambier