Chroniques

*Requiem au bord du jour*

Vincent,

Combien j’aurais voulu te parler, te contredire, te convaincre de rester. Mais c’est trop tard. Alors je t’écris depuis cette zone blanche où peut-être tu entends encore.

Tes mots demeurent Vincent. Fragiles et lumineux. Ils sont pareils à ces vies minuscules que tu as su regarder avant qu’elles ne s’éteignent. L’ombre ne les engloutira plus. Tu les as rendues au jour. 

Grâce à toi, elles ont des prénoms : Gaspard, Julietta, Saturnin, Malik, Alban, Madame Saindoux, Monsieur Chevallet. Leurs silhouettes marchent dans des villes comme Sansoley, Istanbul, Guignon. 

Tu leur as offert à ces vies minuscules et immenses, des chiens, des chambres, des rires, un peu de ciel. 

Et puis il y a Margot, cette enfant qui regarde le monde sans savoir encore que tu lui manques.

Dans *Requiem au bord du jour*, tu traverses nos vies Vincent, comme on traverse un fleuve en crue. Attentif, les bras ouverts, risquant toujours d’être emporté par la douleur de l’autre. 

Dans chaque vacillement, tu portes  ta part d’ombre. Secrètement. 

Tu nous as appris combien les maisons changent de propriétaires, de locataires, de « vivants. »

Combien les villes, les rues  se doublent de noms, Camus 1, Camus 2 et combien pourtant le manque à vivre dévore les espérances, les révoltes, l’amour. 

Tu as su dire ce que nous taisons. Que nous sommes tributaires du destin de l’autre, même à notre insu. Que nous sommes tributaire de notre propre histoire, même à notre insu…

Que le bruit du temps claque en nous. Que nos cernes sont comme les plis dans lesquels parfois se cachent des buées de soi.

Tu as tenté toutes les digues censées empêcher la terrible vague.

On croyait, en te lisant, que rien n’allait arriver, pas encore, qu’il restait des chapitres, un dernier lever de rideau. 

Mais tu étais en partance depuis longtemps. Ce livre, *Requiem au bord du jour*, est un peu ton testament, comme une alerte, une offrande, une main tendue. Et quelle drôle de coïncidence, il est déposé aux Editions Des Instants

Toute ta courte vie Vincent est comme une édition d’instants. 

Tu ne sanctifiais ni la science ni la technologie dont nous sommes devenus des pèlerins aveugles parfois. Nous en avons fait des dieux païens qui nous détruisent à notre insu. Pas toujours bien sûr, mais quelle fascination folle  nous avons pour ce qui asservi.

Tu as aussi parlé de liberté. Monsieur Chevallet avait déjà une idée très avancée sur le sujet.

Toi, pour ne pas nous effrayer, tu décrivais les crépuscules, les aubes et cette ligne de fuite qui même si elle semble aspirer ne dit rien de plus.

Le rideau est  tombé. Le dernier acte a eu lieu loin de nos yeux. 

Mais il reste ton livre, ce fragment lumineux que l’on tient encore dans la main. Que l’on peut lire et relire. Comme une possible passerelle entre nous et toi.

Nous ne sommes plus sur la même fréquence et pourtant parfois comme un grésillement  sur la ligne. C’est peut-être le vent, l’orage ou toi.

Tu nous laisses la vie Vincent. Sa beauté, sa violence, ses rebonds. 

Ton livre ne clôt rien. Il nous confie le reste du voyage.

Extrait 

À L’AUBE, la terre commence à tourner. La nuit on ne sait pas, on ne sait jamais, c’est moins flagrant. C’est l’heure bleue qui fixe tout ça. À partir de là tout s’affaire, tout s’agite. Ça commence assez doux d’abord, ça pépie, ça gazouille. On entend le ramage chasser les étoiles. Mais cela ne dure pas évidemment. Les piafs se font damer le concerto par l’orphéon urbain. Déjà le tacot des éboueurs arpente la rue, sème son moteur dans un sillon de bruit. Très vite les gens arrivent et de toutes parts, investissent le pavé, le bitume, butent, cognent les uns avec les autres. Ils jouent à colin-maillard, tout le monde a le bandeau… »

Vincent Petitdemange, *Requiem au bord du jour*, Editions Des Instants

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