Chroniques

*Les promesses orphelines*

« Qu’est-ce qui fait une vie réussie ?

C’est le refrain, la musique de fond qui habite *Les promesses orphelines*, le très beau livre de Gilles Marchand.

Il y a les personnages comme Gino, Roxane et d’autres…

Il y a le progrès qui se vit en direct comme l’homme qui marche sur la lune, et il y a des mots incroyables pour l’époque comme l’Aérotrain. 

Il y a le calendrier et l’horloge. Tous les deux scandent le Temps… 

Et il y a l’extraordinaire personnage de « la dame de l’institut français d’opinion publique » et son éternelle question sur le bonheur :

– Diriez-vous que vous êtes très heureux, assez heureux ou pas très heureux… ? 

Et tout au long de notre lecture nous cochons des cases. Comme pour participer à un sondage intime. Nous hésitons parfois devant la question…comme un arrêt de mémoire et peut-être pour ne pas cocher la case sans retour possible. Un arrêt comme pour s’accorder un sursis…

Ne pas trancher trop vite sur les questions vitales 

– Avez-vous réussi votre vie ou avez vous été heureux et ses possibles…

Certes, je mets beaucoup  « d’il y a », mais encore un :  il y a même la boule de neige. Vite vite la faire bouger pour sourire…

Etre submergé soudain par les souvenirs, la nostalgie, mais la vie est belle et le progrès en cours toujours. Monsieur Jean Bertin l’a dit… 

*Les promesses orphelines* est un livre merveilleux. Poétique, drôle, vivant, chantant et cette pointe de léger regret, quand on se dit qu’un rien (un grand rien) nous rendait heureux…

Gilles Marchand, *Les promesses orohelines*, Aux Forges de Vulcain

Interviews

L’escale de Jeanne avec Anne Bouxin

« On ne se console pas des chagrins, on s’en distrait. »

C’est avec cette phrase de Stendhal que l’on pourrait ouvrir cette Escale de Jeanne avec Anne Bouxin.

Elle écrit, elle est mannequin et elle appartient à cette génération des grands orphelins. Ceux qui ont été aimés et qui perdent tard leurs parents.

Mais elle raconte sans s’attarder. Pudique Anne Bouxin. Très .

Sa vie intime a connu une tempête, elle en parle presque sous X…

Mais Anne Bouxin préfère sourire, déplacer le projecteur, cultiver la légèreté comme une discipline.

Elle est drôle, inattendue…

L’escale lui ressemble. 

On navigue entre confidences esquissées et rires…

Un fond de bruit…mais nous sommes si bien accueillis. 

Et puis, il y a une vedette : Oups

Rencontres Littéraires et Autres

Entre deux langues ma voix

Les mots migrateurs…

« Les mots, comme les êtres et les groupes humains, voyagent, se déplacent, émigrent et immigrent, avec des fortunes diverses. Ils appartiennent à l’espèce immense des SIGNES, ces réalités physiques qui donnent aux humains accès au réel et à l’imaginaire, au concret et à l’abstrait, à la matière et à l’Esprit… » (Alain Rey).

À cette réflexion lumineuse s’ajoute peut-être une évidence…La traduction n’est rien d’autre que l’un de ces voyages.

Trois traducteurs passeurs racontent les mots migrateurs. C’est « fort », jubilatoire, bouleversant, drôle. 

C’était le 16 septembre 2025, chez Anne Ghisoli et son équipe à la Librairie Gallimard Paris, un Fil de MémoireS de Jeanne Orient.

*Entre deux langues, ma voix*

Claro, Editions Inculte, Françoise Morvan et André Markowicz, Editions Mesures, traducteurs écrivains racontent dans cette captation leur (s) métier (s), leur (s) passions et puis beaucoup d’inattendus et d’humour…

Chroniques

*Tremblements de ciel*

Écrire pour avoir  « lieu »…

[…] Je n’ai pas eu d’enfants.

Je ne laisserai rien.

Ma vie sera pareille à l’éclair.

Les fleurs sur ma tombe faneront en une semaine.

Et le premier vent effacera tous mes pas […]

Jean-Christophe Galiègue écrit depuis le manque, depuis cette béance d’où rien ne répond. 

*Tremblements de ciel* est un recueil de solitude. Pas  de lignées, pas de « siens ». Et pourtant sa parole retentit gorgée de tant d’illusions :

[…] Comment dire le temps suspendu 

Les battements d’ailes

Les veines farouches

Le cœur en flammes

La peau la neige

Le bleu de l’air

Les remparts de lumière

L’ombre portée

Le rouge de vivre […]

Mais il est tard. Ou alors plus assez tôt. Et entre ce qui est et ce qui reste, tout tient sur un fil. Peut-être un instant de présence encore, une parole arrachée à l’éphémère, un éclat de rire avant le grand silence. 

Jean-Paul Galiègue est lucide. Il ne promet rien. Ni à ses lecteurs, ni à lui-même.

Tel un sismographe, il continue jusqu’au bout d’enregistrer les secousses. Toutes les secousses. Celles de l’amour qui échappe, de la lumière qui s’efface et de la vie qui tremble toujours au bord de sa disparition.

Écrire devient alors sa seule appartenance, sa seule famille. Chaque mot trace une fragile lignée de papier, un ciel traversé de failles mais habité quand même. 

Et c’est là précisément que le poème  trouve sa force. C’est là qu’il fait tenir debout un homme seul sous un ciel instable.

[…] Le noir d’écrire

Le temps

Qui se regarde et s’imagine

Un bout de ciel

Pris dans le vent 

Posé là […]

Et dans chaque tremblement, cet homme seul nous offre « La forge des mots ». 

Ceux qui font tenir…

Jean-Christophe Galiègue, *Tremblements de ciel*,

Chroniques

*Gunks*

Gunks* ou l’insouciance en paroi 

C’était le temps de l’insouciance, de l’escalade libre, d’une joie de vivre où le principe de précaution n’était pas encore « harnais ». 

Ils ont pour royaume une falaise, pour maison un van improbable, pour horizon leur jeunesse.

Le matériel ? Des cordes un peu fatiguées, quelques sangles et …de quoi grimper sans trop se poser de questions. 

Pas de principe de précaution en « harnais ». L’époque le permettait…

Nous sommes au début des années 80. Méduz le narrateur, Manuel et Claire traversent l’Atlantique pour se mesurer aux falaises mythiques des Gunks.

Qui sont ces trois jeunes gens, dont deux bons grimpeurs, Claire et Manuel et le troisième  Méduz qui l’est un peu moins, mais qui a de bonnes raisons d’y aller :

– Je me demande pourquoi je me retrouve là avec ce très bon grimpeur et cette excellente grimpeuse, et je tente de me convaincre qu’il y a trois bonnes raisons à cela. Primo, Manuel est mon super copain, on s’entraîne ensemble depuis longtemps, et on rêve de ce voyage depuis un bail ; secundo, je parle anglais ; tertio, mais un tertio qui est peut-être un primo, Claire est ma petite copine – enfin, je crois.»

Et puis il y a ce : [in carnets de Claire ]

Il y a toutes les rencontres là-bas. Les modes de grimpe, de vie que l’on compare. Gunks-France. 

Et puis Todd… l’accident… une déflagration dans ces instants où rien ne « pouvait arriver »

Et tout le livre nous projette dans cette époque insouciante. Nous y avions laissé aussi de terribles déflagrations nommées Todd. Mais nous avons oublié… 

Et nous lisons avec ce petit sourire aux lèvres et peut-être, pour ceux qui ont connu ce temps, un petit clapotis dans les yeux.

Et puis, après avoir ri, s’être émus, avoir un peu comparé avec ses « Gunks » à soi, c’est la fin du  livre. La gorge se serre. C’est comme un dernier jour de vacances. C’est comme un été qui ne reviendra pas.

Le trio est mélancolique et nous aussi.

*Gunks* de Nicolas Richard, c’est aussi l’écriture. C’est l’atmosphère que dégage cette écriture qui fore et dans la falaise et dans notre mémoire. Nicolas Richard est traducteur. Le corps à corps avec les mots, il connaît. 

Nous sommes conquis dès le début. Et nous « sommes dedans » dès le début. On grimpe avec eux, on rit de leurs manques, de leurs vertiges, des yeux qui s’accrochent…

On respire la liberté des années 80. 

Et cette couverture acidulée, colorée, qui penche joyeuse.

Un van jaune, une silhouette avec une chemise, à la Antoine le chanteur, danse.  

Et dans le fouillis, la promesse de toute une aventure.

Ce livre, je l’ai « rencontré » par hasard, cet été. J’aime beaucoup quand c’est un lecteur ou une rumeur qui « rapporte » un livre. 

Devant la mer, une dame lisait avec un sourire au bord des lèvres. Intriguée, je lui ai demandé ce qu’elle lisait. Elle a levé son livre et m’a montré la couverture. Dans son regard, tout le souvenir de sa propre insouciance.

Alors j’ai su que je voulais ce livre. Que je voulais ce glossaire de la grimpe :

– Friends : coinceurs mécaniques qu’on glisse dans les fissures, baptisés ainsi parce qu’ils sont, vraiment, des amis.

– Monodoigt : trou dans la roche où l’on ne peut loger qu’un doigt. Cruel, mais nécessaire.

Je voulais surtout, à mon tour, « Grimper pour rien. »

C’est une phrase du livre. Elle mène aux sommets… même quand on est nulle comme moi en escalade.

Même quand comme certains ici, n’ont pas connu ce temps insouciant de l’époque. 

Allez-y ! Plaquez-vous contre la paroi ! C’est une roche « miraculeuse »

Nicolas Richard, *Gunks, Chronique du temps insouciant*, Editions Arthaud

 Magnifiques photographies d’ Olivier Martin Gambier

Interviews

L’escale de Jeanne avec Agnès Clancier

Agnès Clancier est une femme en urgence. Elle écrit. Elle traverse le monde. Elle écrit encore et elle re traverse le monde.

Les terres lointaines, les aventurières comme l’aviatrice et résistante  Maryse Bastié, la fascinent. 

Mais il faut écouter Agnès, la voir rire, réfléchir, tenter de poser le mot juste, d’expliquer pour nous, pour elle…et soudain sourire, s’attendrir…

Un nom comme une ancre… Karina

Sokolova. Sa fille adoptée. Agnès Clancier  a écrit un livre avec pour titre : Karina Sokolova. C’est comme un album photos. Un livret de famille. Et quand Karina lui a demandé :

– Pourquoi tu m’as adoptée ?

Juste ces mots :

« Parce que tu n’avais pas de maman… et que je n’avais pas de petite fille » 

Une phrase « absolue », une épiphanie.

Merci au Restaurant Les Éditeurs de nous avoir reçues.

Chroniques

*La collision*

« Fait divers » est un mot terrible. Il aseptise une tragédie.   

La collision, c’est l’histoire de la trajectoire d’une balle perdue… mais ici ce n’est pas une balle perdue… c’est une collision…

En 2012, la mère de Paul Gasnier est percutée à Lyon par un très jeune homme  en moto cross. Il faisait du rodéo urbain à 80km/h. C’était le matin. Sa mère allait à son atelier pour donner son cours de yoga. Lyon, c’est le hasard d’un poste proposé au père de Gasnier. 

La collision ou l’histoire de la trajectoire d’une balle perdue 

Dix ans plus tard, le fils devenu journaliste remonte le fil : non pas pour disculper, mais pour comprendre. Ce qui « n’est ni un meurtre ni un assassinat… » malgré le terrible qui s’en est suivi.

Comprendre « Saïd », sa délinquance, son dérapage, sa « folie » pour ne pas penser un instant à la dangerosité de son acte.

Comprendre à quel moment les filets sociaux ont cessé de se tendre, quand la République a décidé de laisser tomber les « quartiers, les zones, la banlieue ».

Et puis la responsabilité des politiques. Au discours qui chauffe à blanc des salles entières en scandant des « mots offenses ». Eux aussi sont dans une forme de rodéo urbain, totalement déconnectés de ce qu’ils peuvent provoquer.

Et toujours récupérer la tragédie du fait divers. C’est le fond de commerce de toute campagne politique…

Gasnier écrit sobre, lumineux, sans un gramme de pathos. Il refuse les caricatures, démonte l’instrumentalisation politique du tragique, et restitue dans la même phrase une tendresse infinie pour sa mère et une lucidité glacée sur le réel.

Et puis le destin… sa mère qui avait couru le monde lointain pour venir mourir à Lyon. En pleine ville. Un matin.

Chaque page « pèse ». Celles du procès sont bouleversantes. Un direct de la réalité. Les familles sont là. Chacune dans sa tragédie. Les avocats, la Cour et « Said »…

*La Collision*, c’est le choc frontal  entre deux destins qui n’auraient jamais dû se croiser. Collision entre deux France qui s’ignorent. Collision enfin entre l’intime et le politique.

Paul Gasnier écrit :

« La violence qui a frappé ma famille possède une généalogie, qui nous raconte collectivement. Elle a été commise par un jeune garçon dont la dérive est le produit d’une époque où les filets de la société n’accrochent plus, ne rattrapent plus, et où l’obsession de soi permet tout. »

Certains trouveront excessif tout cela. Certains auront déjà une opinion sur le livre. 

Surtout ceux qui ne l’auront pas  lu…

Mais la maman de Paul Gasnier est morte. 

En exergue, avant d’entrer dans l’histoire, on peut lire ces mots de Paul Valéry :

« Les morts n’ont plus que les vivants pour ressource ».

Paul Gasnier, *La collision*, Editions Gallimard.

Paul Gasnier est journaliste. *La collision* est son premier roman.

Interviews

L’escale de Jeanne avec Guilaine Depis

Intrepide, décoiffante parfois, touchante, spontanée gracieuse, exigeante, douée, toujours avec cette force et ce fond de mélancolie elle avance  souveraine.

Balustrade nous dit-elle, c’est un peu d’une chanson où le mot Bal accompagne la « petite fille aux allumettes », un peu de la beauté d’un lustre joyau, lumineux… et le reste.

D’une enfance cabossée, elle a retenu qu’il faut vivre coûte que coûte.

Elle a une connaissance parfaite du milieu de l’édition, de ses mirages, de ses joies. Elle lance des auteurs, leur fait faire parfois leurs premiers pas dans ce milieu que souvent ils connaissent mal.

Elle est drôle aussi, il faut l’écouter pour comprendre.

Et toujours les chats compagnons, confidents.

La considération nous dit-elle est ce qui relève l’autre.

À la Brasserie Lipp, infiniment remerciée, elle est chez elle Guilaine Depis.

Une Escale drôle, bouleversante et inattendue …

Merci Guilaine de tout ce qui s’est dit.

Interviews

L’escale de Jeanne avec Marie-Hélène Prouteau

Tenir dans la nuit, une lampe à la main…

Quelle Escale ! Elle est contagieuse Marie-Hélène Prouteau Stéphan quand elle parle de Celan…

Elle s’émeut, s’émerveille, se tient dans l’ombre pour laisser venir les souvenirs… elle entonne un chant… elle sort un album photos, elle passe la main sur les pierres…et puis l’Histoire… la terrible Histoire.

Et elle raconte… c’est beau ! C’est lumineux ! 

Avec *Paul Celan, Sauver la clarté* (éd. Unicité), Marie-Hélène Prouteau nous emmène dans une incroyable traversée. 

Mandelstam, Nelly Sachs et tant d’autres apparaissent comme des compagnons de route. 

Et puis, fresques murales,

correspondances, géographie, mémoire, tout devient signe, borne, pierre d’attente. 

C’est  une « calligraphie de lumière », qu’a su détecter Marie-Hélène Prouteau, écrit dans la préface Mireille Gansel.

Écouter Marie-Hélène Prouteau, c’est marcher avec Celan… pour apprendre à tenir…

À « tenir dans la nuit, une lampe à la main… »

Chroniques

*Où les étoiles tombent*

Auguri Mathidé… Auguri 

Mathilde est revenue… De loin, très loin. Le 12 août 2022, avec Cédric Sapin Defour son époux, ils vont faire du parapente dans une vallée de la province de Bolzano en Italie.  Ils savent les gestes, ils savent l’envol, ce ne sont pas des novices, leur vie c’est la montagne, ses hauteurs, son oxygène.

Cédric se lance avant Mathilde et puis, il regarde en arrière, il ne la voit pas. Il ne panique pas tout de suite. Mais la radio de Mathilde ne répond pas, il tournoie à sa recherche et il voit au sol le tissu du parapente. Il claque au vent.  Et tout s’enchaine

Où les étoiles tombent de Cédric Sapin Defour est un livre aux aguets de l’immobile.

Des mots obsédants : polytraumatisée, soins intensifs, souffle, montagne, neige, air, eau… Mathilde, Mathilde…

Cédric Sapin Defour écrit dans les intervalles, dans la déchirure des mots séparés.

Il a une défiance envers les images, celle d’avant l’accident. Celle de la joie, celles de l’aventure. Mais en même temps, ces images sont Mathilde, sont ce qu’est toujours Mathilde même si elle ne pourra plus voler. Voler… le mot magique, le souffle magique. Voler… et une image s’interpose…tomber, se briser… 

Mais Cédric ne veut pas de mots qui ne vont pas à Mathilde. Il est très attentif à son souffle à ses mouvements nouveaux. Elle réapprend tout Mathilde. 

Et lui aussi. « L’accident pulvérise hier et demain », mais sans les effacer vraiment.

Il apprend à se méfier des mots qui pourraient faire tamis jusqu’à ne plus garder que le vide, le vertige.

Au début juste après l’accident nous lisons la peur de Cédric, l’effroi de Mathilde, ses yeux fixes, la formidable équipe de secours, les soins intensifs, les onomatopées,  les graffitis pour empêcher la vie de s’en aller

Et Mathilde revient Par paliers. En reprenant conscience, elle découvre son corps « nouveau ». Et la dimension de ces mots « qu’est-ce qu’une vie normale ? » pour celui qui a failli mourir et garde des séquelles en restant vivant et pour l’autre qui l’a veillé en recueillant le sacré de chaque frémissement de vie comme une sortie de deuil…

Nous ne lisons pas Cédric Sapin Defour, nous l’écoutons, nous sommes face à lui. Il écrit à la buée. Nous lisons à la buée…

Et puis Mathilde, Mathilde qui réapprend tout. Elle réapprend à retisser les mots, elle réapprend les gestes du corps, elle réapprend à s’orienter en elle-même, en eux-mêmes. Elle réapprendra plus tard dans quel ordre se commande un café. Quand choisir, commander, payer, remercier.

Et puis il y a le temps. Ce temps double qu’il faudra accorder. Mathilde en mouvements permanents pour se réapproprier son corps, sa vie sauvée et Cédric, cloué à l’instant, à la veillée, à cette patience qui consiste à épouser la vitesse de l’autre. 

Deux voies parallèles, comme deux trains qui ne partent jamais à la même heure dira-t-il, mais qui se rejoignent toujours

Cédric Sapin Defour nous raconte une histoire vraie. L’écriture est vraie. La poésie habite des paragraphes entiers. Il faut lire livre, il faut pouvoir dire Auguri Mathildé, Auguri et il faut également prendre contre soi ce livre.  Avec tendresse, avec pudeur, avec émerveillement.

Nous sommes le témoin du témoin. Nous sommes les témoins de Cédric qui est le témoin de Mathilde. Nous sommes les témoins de Mathilde qui est le témoin de son propre retour dans la vie, à la vie… Auguri Mathildé,  Auguri…

Ce livre est une cartographie de la perte et de la reconquête du territoire. Mathilde est revenue presque la même et pourtant un peu autre. Cédric est resté presque le même et un peu autre.

« Où tombe les étoiles » est un livre où on s’émeut et où on sourit en même temps ainsi :

« Toutes les trente secondes, je consulte mon téléphone, ce soir Siri me dira d’être vigilant quant à mon temps d’écran, ça me fera une conversation »

Et cet extrait magnifique :

« J’avais pensé à ton visage aussi mais pas à cette annexe qu’il dissimule : le cerveau.

Moi, je croyais que c’était le cœur qui pensait, qui aimait, qui frémissait, qui en faisait trop ou pas assez. Parfois il bat vite, d’autres fois on le secoue. En réalité, c’est le cerveau. Un cœur, c’est plus joli qu’un cerveau. C’est un oyas en peau d’argile blotti dans la terre et qui irrigue tout autour de lui, quand le cerveau, lui, on dirait le périphérique parisien. Mais c’est là-haut, dans ce lacis clignotant et selon un cadastre électrique rigoureux qu’habitent la gaieté, l’effroi, la tendresse, la poésie, l’émerveillement, la délicatesse, la possibilité de la joie, les douces mélancolies, les forces de l’espoir, le don de la nuance, l’arbitrage des peurs, l’accueil de l’autre, la tentation de la violence, la soif de découvrir, le doute, l’imaginaire, les rêves oubliés, les vérités fragiles et toutes ces folies passionnantes qui rendent la vie respirable. L’amour même niche là-haut, dans ce trafic où la moindre collision paralyse le monde.

Le cerveau est le seul bout de nous, qu’on ne sait pas assister ni remplacer, il n’est qu’à soi. Le joli cœur n’est qu’une pompe et il aura beau battre, à quoi sert-il si tout ce qui rend sensible s’éteint ? 

Je n’y avais pas pensé, si le cœur s’arrête, on meurt, si c’est le cerveau, on ne vit plus… »

 Tout au long de ma lecture j’entendais en bruit de fond la chanson de Daniel Darc : La taille de mon âme

Si tu savais mes mains… rien

Si tu savais mes reins…rien

Si tu savais mes jambes… rien

Si tu savais mes bras… rien

Mais si seulement tu savais la taille de mon âme…

Si seulement vous saviez la taille de leur âme à chacun de « ces deux-là » !

Merci Cédric Sapin Defour pour ce bouleversant tomber d’étoiles et  ce magnifique lever de rideau.

Auguri Mathildé, Auguri… Mathilde est revenue

Cédric Sapin-Defour, * Où les étoiles tombent*, Editions Stock