Chroniques

*Au-delà du tableau*

On ne remonte pas au jour sans passer par un face à face avec soi. On ne réapprend pas à parler sans accepter de regarder ce qui a été éraflé..

Dans le magnifique roman de Céline Posson-Girouard (Celine GIrouard), *Au-delà du tableau*, ce qui a été éraflé, c’est l’adolescence de Lysia, le personnage principal du récit.

Une adolescence en deux temps. Un temps avec le père bien aimé qui meurt et un autre avec le nouveau compagnon de la mère. Un homme sans foi ni loi et qui poursuit de ses assiduités l’adolescente de quinze ans.

Céline Posson-Girouard  raconte au plus près la vie de cette toute jeune fille, ses angoisses, l’avenir si perturbé déjà. 

Les études vont la sauver. Lysia prend conscience du formidable pouvoir de la peinture.  Du pouvoir de créer.…  se « recréer ».

Et puis, sa rencontre avec un peintre. 

L’art, l’amour, les rencontres font céder peu à peu le silence de Lysia. Tout doucement, elle se réinscrit dans le creux du monde. 

*Au-delà du tableau* (et non Au-delà des murs) est un récit bouleversant. Et la question soudain : 

– A quelle distance de ses personnages se trouve l’auteure ?

Nous saurons simplement que le Perche natal et ses paysages  ne sont pas bien loin. 

Plus qu’un livre, Céline Posson-Girouard nous offre un magnifique récit sur le silence, les brisures et la rédemption. 

Et puis, des images ruisselantes de beauté, de poésie, ainsi :

– Installées sur le banc de bois ancien, Estelle et sa fille écoutèrent le chant des pinsons ; leur cadence répétitive, mélodieuse les berçait ; au concert des oiseaux, un bouvreuil, perché sur la plus haute branche des seringats, lançait ses trilles en soliste…

Céline Posson-Girouard, *Au-delà du tableau*, Éditions Ex Æquo

Blog-Notes de Alain Hoareau

À propos de *Granada* le dernier CD de Elsa Grether et Vizi Ferenc

L’embarquement est immédiat avec l’œuvre de Joaquin Nin qui ouvre le récital d’Elsa Grether et Ferenc Vizi. Un bourdonnement, un bouillonnement, un appel aux sortilèges qui s’achèvera en toute fin de disque dans l’apaisement de la berceuse de Xavier Montsalvage. 

Entre temps, des éclats de soleil aux mystères des fontaines, « les sons et les parfums tournent dans l’air »…

Et comme il est question de poésie, car comment concevoir la musique sans poésie et la poésie sans musique, un poète immédiatement m’est venu à l’esprit en écoutant cet enregistrement : 

Antonio Machado. 

Alors voici un un poème qui me paraît, mieux que toute critique ou analyse musicale rigide et froide, évoquer parfaitement le contenu de ce nouvel opus. 

« Le poète est un jardinier. En ses jardins il souffle une brise subtile avec des accords légers de violon, des pleurs de rossignols, des échos d’une voix lointaine et le rire clair de jeunes amants babillant sans fin.

Il y a aussi d’autres jardins. La fontaine, là, lui dit: je te connais, je t’attendais. Et lui, en se voyant dans l’onde transparente : À peine suis-je encore celui-là qui rêvait hier !Il y a aussi d’autres jardins. Les jasmins y regrettent déjà les verveines d’été, et ces jardins sont des lyres d’arôme, douces lyres que fait vibrer le vent froid.

Passent les heures solitaires et sous la lune pleine, les fontaines déjà soupirent dans le marbre, les fontaines chanteuses, et dans l’air l’on entend plus que le bruit de l’eau. »

Alors bien sûr on n’oubliera pas de dire aussi que le programme est virtuose, que le violon est virtuose, que le piano est virtuose, que les deux musiciens sont virtuoses. Mais ce qu’on  n’oubliera pas surtout c’est l’émotion du voyage qui restera dans ce silence si particulier qui suit la dernière note. 

Bien sûr il y a du brillant et du brillantissime : un Rodrigo qui semble jouer les Paganini ( comment ne pas penser à la Campanella » dans le dernier mouvement de sa sonate, un Sarasate semblant danser plus en diable que Carmen elle-même. 

Mais il y a  aussi ce Turina, qui m’est si cher, un déchiffreur de terre et d’âme allant directement à l’essentiel sans s’encombrer de fioritures inutiles. 

Et pour citer encore Machado :

« Tout passe et tout demeure, mais notre affaire est de passer, de passer en traçant des chemins des chemins sur la mer. » 

Quels magnifiques chemins Elsa Grether et Ferenc Visi nous offrent avec ce *Granada*

Interviews

L’escale de Jeanne avec Valère-Marie Marchand

« La vie me porte et je la porte »

Georges Haldas

Valère-Marie Marchand est de celles et ceux qui pourraient en faire leur devise également.

Elles est auteure, journaliste. Elle conduit avec talent son émission de radio : Bibliomanie.

Elle est née presque dans « un atelier » et c’est cette part de l’art,  qu’elle chronique dans la Gazette Drouot.

Une Escale de Jeanne avec une invitée aux multiples talents. 

Plusieurs livres magnifiques à son actif et ici « Spleen au lavomatic » (Éditions Heliopoles)

Un formidable fresque dans un lieu de hautes solitudes et pourtant tellement habité.

L’espace temps et les cycles des machines. L’espace temps et la vie qui comme le linge s’essore… essore…

Et puis l’eau… le miracle de l’eau…mon invitée aime l’eau et c’est une grâce pour une Escale.

Elle aime le visible et l’invisible des gens et des choses…

« L’écriture est une façon d’écarter le mur d’apparence qui nous entoure » dit Nathalie Sarraute.

Et elle pousse fort et loin les murs cette « athlète » de l’écriture qu’est Valère-Marie Marchand.

Et nous l’en remercions infiniment 

Chroniques

*Crever la nuit*

Vol de nuit…

Dans *Crever la nuit*, Philippe Colmant sculpte son insomnie. Elle porte un constat. Une attente. Des heures.

 L’écriture serrée, tendue comme une montre qui bat trop fort dans le silence. Les heures s’étirent, et avec elles, le vide. 

Le “je” et le “tu” essaient de combler le manque du “nous”, cette absence centrale qui pulse dans chaque page.

Tout commence à 21h06 et déjà l’aveu :

– Quelqu’un a renversé la nuit…

– Cent mètres carrés de solitude, c’est beaucoup. C’est trop.

Une robe bleu nuit traverse le livre comme un fantôme, vêtement de l’autre, de l’amour parti ou défait. 

Et le temps devient matière. 

La nuit, interminable est ici personnage principal, muse sombre d’heures scandées.

Philippe Colmant cisèle des phrases d’urgence dans une lenteur imposée. Chaque mot est pesé, chaque silence entendu. Les illustrations, sombres, épaississent encore cette “œuvre au noir”, ajoutant  à l’asphyxie ambiante.

L’insomnie n’est pas juste une veille, un manque à dormir. C’est une vie qui défile. 

La lampe allumée pour ne pas rester seul dans le noir. 

Mais la confidence tombe :

-Ton absence me noie…

Et  Philippe Colmant sculpte cette nuit, l’illustre de dessins… 

*Crever la nuit* est son « œuvre au noir ».

Nous saurons que :

– Quatre messages sont restés sans réponse…

Nous lirons également  :

– La paume de l’espoir me tend un embryon de poème…

Nous ne dirons pas plus. 

Ou alors peut-être un indice temps :

– L’aube se lève. Il est 6h33…

Philippe Colmant, *Crever la nuit*, Editions Le Coudrier (Collection Coudraie)

Chroniques

*Poudre de plomb*, un éclat dans la tempe…

« …Il n’y avait pas que toi dans la famille qui était fragile. Le monde de grands dans lequel nous avons grandi, était traversé de névroses qui agrégeaient aux talents intellectuels et artistiques, de graves carences identitaires. Alors, comme dans bien des familles françaises, ça buvait sec pendant les repas, mais pas que du très bon vin. Nous étions de sangs mêlés et de nationalités rassemblées. Il y avait aussi des alcools d’origines variées qui semblaient apporter la joie et les rires nécessaires à l’équilibre de ces adultes instables. J’ai traversé cette enfance en prenant l’habitude de voir les adultes compenser une espèce de vide intérieur. Toi et moi, nous posions un regard sans concession sur ces parents qui étaient censés nous sécuriser, nous protéger.Leurs transgressions nous autorisaient à les observer avec une pointe de cynisme candide, sans que nous ayons conscience des blessures que leurs inconséquences provoquaient à l’intérieur de nous… »

J’avais lu *La retenue* (éditions des femmes-Antoinette Fouque) de Corinne Grandemange Auteure.

J’avais lu entre les lignes… *La retenue* était de mise. C’était…le titre.

Dans *Poudre de Plomb* (Avallon et Co), Corinne Grandemange dit beaucoup. 

La retenue n’est plus vraiment de mise. Marie, la cousine tant aimée est morte de cette éducation « libre », ce non engagement des parents. 

Bien sûr, il y a toujours l’amour. Il frôle l’inconscience parfois. Il devient même sans « frontière ».

Les récits  de Corinne Grandemange sont d’une rare intensité. Peut-être les lourds et terribles secrets de famille. Peut-être les terribles silences qui se transmettent  de génération en génération. 

J’ai posé *Poudre de plomb* près de moi, sur un banc. Dans ce jardin où je suis en cette belle journée de printemps, des enfants jouent entourés d’adultes.

Le cœur lourd, je n’ai pu m’empêcher de penser combien d’entre eux souffrent à mon insu de silence, de secrets, de famille présentes/absentes et déstructurées. 

J’ai regardé à nouveau ce livre d’un bleu dérangeant et j’ai pensé à Corinne, à ses combats, à sa retenue, à sa façon aujourd’hui de raconter « Marie », de se raconter elle-même, un peu plus.

Et me sont revenus  ces mots magnifiques de Kenneth White :

– Pendant qu’ils sont tous occupés à leur plan d’avenir, à leurs bruyantes gesticulations sur la scène, je me tiens à l’écart sur mes hauteurs, tout seul, battant du vieux tambour de chaman…

Corinne Grandemange, *Poudre de plomb*,

Editions  Avallon & Co

Interviews

Dan Burcea en Lettres Capitales

Nous avions 15 mn pour parler de l’arrivée  en France.

Les trains de Roumanie s’arrêtent en Gare de l’Est. Et Dan Burcea n’oubliera jamais la Gare de l’Est

On arrive dit-il et on regarde devant…

La route de l’exil, la gratitude toujours envers le pays d’accueil. 

Les langues  et la beauté de chacune, l’émotion de voir les mots se « rencontrer ».

La critique littéraire et combien il faut être humble et aller dans le mystère de l’auteur lui-même pour offrir cadeau au lecteur…

15 mn c’est si peu… et 15 mn  c’est parfois beaucoup quand on entend l’autre dire dans sa langue maternelle, un magnifique poème et puis le traduire « en live » et puis, toujours ému, repartir vers la langue natale et dire encore et sourire et se laisser submerger.

15 mn de grande sincérité…

Interviews

L’escale de Jeanne avec Florence Crinquand.

« …L’estampe monotype c’est un tirage unique, irrépétable, ce qui donne à l’œuvre une qualité précieuse, presque vivante…” 

Et une jeune femme entre en mouvement. Elle prend le risque de « l’accident ». Elle sait que ce sera un jet unique. Irréparable…irréparable… merveilleux

Et c’est un effeuillé de gestes, de couleurs, de passion, de solitude, de présence au monde

Cette jeune femme, c’est Florence Crinquand.

Florence et l’estampe monotype. La gestuelle, sa façon de s’absenter à tout quand elle travaille. 

Florence Crinquand et l’atelier… *Les doigts dans la presse*

Et l’on apprend le papier Japon, le gris de peine, les couleurs…

Calme, frondeuse, souriante, tranquille, passionnée, une jeune femme talentueuse déplie un froissé de papier noble, de frémissements, de créativité…

Une Escale hors zone, entre absence et présence née une œuvre

L’escale de Jeanne avec Florence Crinquand.

Florence est la fille de Christine Lorent et la belle fille de Pierre Perrin

On retrouvera une de ses estampes en couverture du livre en cours de Pierre 

Merci infiniment au Café Restaurant Les Éditeurs pour le formidable accueil 

Interviews

L’escale de Jeanne avec Stéphanie Cals

« Trois petites notes de musique ont plié boutique au creux du souvenir

C’en est fini de leur tapage, elles tournent la page  et vont  s’endormir »

Et elle a tourné la page Stéphanie Cals. La page d’avant, celle du temps où elle était avocate…

Une jeune femme avec un regard à hauteur d’espoir semble à la fois traverser une zone blanche, mais aussi tournoyer heureuse…

Elle déroule les carnets nomades de celles qui une fois parties, ne cessent jamais de partir.

Trop longtemps assignée au silence d’une vie « rangée », elle se dénonce elle-même dans ses mots, ses photos, cet idéal parfois impossible mais qu’elle aime à imaginer.

Elle se taillade des petites coupures dans le cœur à chaque fois de trop où le soir tombe vite.

Et puis, elle se réenchante. Un projet, une promesse, un clair de lune…

Elle est même partie faire le tour du monde . À la recherche de quoi… d’elle-même peut-être. 

Aujourd’hui, elle écrit, prend des photos et avant tout, elle vibre sur scène… Comédienne,  car c’est également son métier. 

C’est peut-être  le seul métier qui lui permet d’être plusieurs. 

Elle a besoin de cette pluralité…

Elle a également une Société de « Coaching » et accompagne en formatrice et conférencière des personnes qui ont besoin de se sentir plus adaptés à un métier, une situation, autre… 

Habitée d’urgence Stéphanie Cals? Probablement. Des terres lointaines l’habitent encore ? Certainement.

Mais… parait-il,  quand elle cuisine Stéphanie, elle met de la musique et elle chante…

Et elle devient invincible la fille de la vidéo …

Merci au Café Restaurant Les Éditeurs de nous avoir accueillis formidablement comme toujours

Blog-Notes de Alain Hoareau

*L’oiseau de feu*, l’incendie salutaire

*L’oiseau de feu* de Stravinsky, l’exemple même de l’orchestration qui met à part égale l’ensemble et l’individuel qui constitue l’ensemble. 

La magnificence et la force de la communion sonore, la présence de la voix individuelle, irremplaçable dans son unicité. 

L’oiseau de feu , le multicolore et la clarté, l’un et le tout. 

Tels sont les mots immédiats qui me sont venus à la réécoute hier soir de ce concert donné au Louvre par l’orchestre de Paris sous la direction de Pierre Boulez. 

Et voici comment Pierre Boulez évoquait l’orchestration de *L’oiseau de feu* : 

« La maîtrise orchestrale s’y affirme avec une vigueur et une verdeur que je ne puis comparer qu’à celles de la Symphonie Fantastique de Berlioz (bien que je sache que Stravinsky n’aimait pas spécialement Berlioz… ). Je dirais volontiers que la modernité de l’orchestration du XIXe siècle s’est révélée dans la Symphonie Fantastique, de même qu’elle s’est révélée dans l‘Oiseau de Feu. Une virtuosité innée s’y manifeste, commune aux deux compositeurs, et révélatrice de leur génie poétique. »

Une musique fascinante et terriblement inquiétante, légende source mais d’une modernité permanente : il semblerait que nous n’en finissions jamais de combattre pour la liberté. Résonance terriblement actuelle…

Et le chef Boulez de déclarer également : 

« Je vois en effet, dans l’Oiseau de Feu une espèce d’avidité à se saisir de la musique déjà existante pour la transmuter en un objet agressivement personnel.[…] Nous sommes donc parfaitement en mesure d’apprécier la vivacité avec laquelle le ferment d’une pensée créatrice a entrepris son travail initial. »

Quant à la direction de Pierre Boulez : la précision et la clarté qui nous fait croire que nous sommes capables de saisir le sens et la structure de l’œuvre comme si nous étions à sa place.  

Nous prenons ce plaisir, nous le goûtons et puis nous redescendons sur terre très humblement mais peut-être un peu meilleur. 

Nous avons tenu un instant la plume magique de l’oiseau qui nous a donné la liberté de comprendre. 

Interviews

L’escale de Jeanne avec Martine Rouhart

«Sur l’eau tranquille de la transparence…patientent les orages / tant d’ardeur inavouée / et l’on entend battre / les pas lointains / de nos émeutes intérieures… »

Martine Rouhart raconte en poèmes, les petits naufrages du quotidien et les rais de lumière nécessaires pour repartir, pour être présent au monde… comme une ode à cette vie belle…

Elle a des phrases courtes, comme des éclats. 

C’est une Escale délicate, feutrée, profonde :

– Laisse les phrases / reprendre haleine / osciller dans leur incertitude / entre douceur / et inquiétude…