Blog-Notes de Alain Hoareau

De la sortie à la sortie…

C’est un paradoxe : plus le nombre de lecteurs semble à la baisse, plus le nombre de livres édités augmente. 

Est-ce les derniers soubresauts d’une activité sur le point de s’éteindre ?

Est-ce une technique commerciale de la dernière chance ? Mystère. 

Ce qui est sûr, c’est que cela en devient rébarbatif pour le lecteur aussi. 

Il y a les têtes de gondoles ( qui ne vous amènent pas forcément à Venise) , il y a les amis ( à qui ont pourrait donner sa chemise) et puis un vaste territoire inconnu et mouvant ( peut-être émouvant mais comment le savoir)

Écrire un article sur les réseaux cela va très vite, le lire encore plus vite, l’oublier plus encore…

Écrire un livre cela prend du temps, le publier aussi, le lire également, quant à l’oublier, cela dépendra du temps que l’on aura réellement pris pour tout cela. 

Un livre c’est le temps long. Pourtant à peine entré en scène, il ne  lui reste déjà que peu de temps à vivre. Le petit nouveau arrive qui le pousse vers la sortie. Dans l’expression « untel a sorti un livre cette semaine » le mot « sortir » sonne d’emblée comme un funeste présage. 

Alors ce temps il faudrait arriver à le prendre, ce temps du vécu, ce temps de la pensée, ce temps du dire et du faire, ce temps de la mémoire, car plus encore que le temps long, un livre c’est de la mémoire.

Il serait bien dommage que la mémoire soit la grande oubliée de notre époque. 

Chroniques

*De nos blessures un royaume*

« Tenir jusqu’à la cinquième et dernière, saluer et entrer dans l’absence… »

– Entrer dans l’absence…Cette phrase m’a infiniment touchée. Elle est le point de lecture  du bouleversant roman de Gaëlle Josse

*De nos blessures un royaume* aux  Éditions Buchet/Chastel

Agnès est danseuse. Son compagnon Guillaume est mort. Un deuil impossible et un livre qu’il aimait, qu’elle  lui lisait également jusqu’au dernier moment

Elle a tenu les engagements des spectacles prévus puis elle est parti pour un lent voyage. 

Sept jours, 1000 km de nice à Zagreb 

Des trains, des bus, des hôtels sans âmes, des trains encore.

Agnès a décidé ce voyage pour aller déposer le livre au Musée  des relations rompues à Zagreb…

Gaëlle Josse écrit :

« Il existe un musée étrange dans le monde, celui des relations brisées. Il se trouve à Zagreb. Chacun peut y apporter un objet, une photo, un texte qui dit quelque chose d’une relation rompue, perdue, et c’est la somme de ces contributions qui constitue le musée. C’est un couple qui l’a créé après sa rupture, pour laisser quelque chose de leur histoire et inventer un lieu qui accueille la trace, le souvenir des amours d’inconnus, d’anonymes qui cherchent à laisser quelque part une empreinte de ce qu’ils ont vécu. J’ai tellement aimé cette idée, je suis allée des dizaines de fois sur le site, j’ai regardé, j’ai lu. Il y a de tout, du banal, du quotidien, du beau, du drôle, du terrible, du tragique. La vie… »

Et cette « image »…Agnès et Guillaume comme ensemble, comme un chant … et *De nos blessures un royaume*

 Bouleversant et lumineux roman. De Gaëlle Josse que nous avions  eu la joie de recevoir  chez Anne Ghisoli, à Librairie Gallimard Paris, lors d’un Fil de MémoireS de Jeanne, je garde beaucoup de mots… je garde ces mots qui vont si bien à ce livre :

« Chaque histoire de vie, chaque destin possède ses trous noirs, ses terres d’obscurité et de silence, ses creux et ses replis… » et nous pouvons ajouter :  Son royaume…

Blog-Notes de Alain Hoareau

2025 Carmen se démène, mais sans tromper Bizet…

2025-1875= 150…. Ah les anniversaires ! On en parle, on en parlera et si c’est pour la bonne cause, tant mieux. Carmen est là, sera toujours là, ( voir ma publication  du 03/12/2024), on ne peut que se réjouir. 

Mais de grâce qu’on ne fasse pas d’elle la passionaria des féminicides, au sens où notre époque l’entend. 

Pour ma part, au risque de me faire beaucoup d’ennemi(e)s, je ne franchirai pas le pas et continuerai à penser que le génie d’un auteur ne devrait pas servir aux causes qui n’étaient pas les siennes, fussent-elles les meilleures comme c’est le cas pour celle-ci. Bizet a déjà subi l’échec de son opéra à sa création, ne lui infligeons pas, 150 ans plus tard, le camouflet d’un détournement de sa pensée. 

Mais Bizet ce n’est pas seulement Carmen. Beaucoup d’autres oeuvres. De l’alimentaire, beaucoup d’alimentaire qui l’usait énormément. La vie d’un créateur n’est pas qu’un long fleuve tranquille. 

Mais pas uniquement de l’alimentaire. 

Prenons le temps d’écouter sa première symphonie en Ut, prenons le temps ( pour les plus pressés) de son deuxième mouvement avec son merveilleux solo de hautbois.  Oeuvre d’un jeune homme de 17 ans. Tout l’art de l’orchestre qu’on retrouvera plus tard dans Carmen, et tout l’art du chant. 

Et puis même dans ce qu’il considérait comme « l’alimentaire », subtilités et finesses sont toujours présentes. 

On découvrira aussi un Bizet à la recherche d’une certaine « authenticité », oh, pas une vérité musicologique scientifique, mais tout de même une belle approche des styles et des expressions. L’arlésienne bien sûr et ses emprunts à la tradition provençale, Carmen et son hispanisme effleuré, mais également la belle tradition du piano romantique des *chants du Rhin* (  dont je vous conseille la version de Jean-Marc Luisada, enregistrement dans lequel il met en miroir les nocturnes de Fauré)

Ecoutons aussi les *feuilles d’album* , mélodies sur des poèmes de Hugo, Ronsard, Musset etc…

Écoutons *Guitare* de Victor Hugo avec son rythme de boléro, où l’on croirait entendre une vraie guitare rythmique dans la partie piano d’accompagnement. Une partition à mon sens beaucoup plus intéressante que celle d’un certain Franz Liszt sur le même texte. 

Musique typiquement française, mais quels voyages sonores pour un homme qui aura eu une vie si brève, et n’aura franchi les frontières de l’hexagone que pour le court séjour italien à l’occasion du Prix de Rome. 

En lien, *Adieux de l’hôtesse arabe* Poème de Victor Hugo, Musique Georges Bizet. 

Chroniques

*Fragments d’un sentiment*

« L’été s’use. Le jour se rétracte, se colore de nuit. L’été se conjugue au passé.

Une phrase, c’est comme une touche de bleu, il faut oser. J’observe l’absence de réalité cognée, sans la matière d’une chair.

« J’enviais la félicité des bêtes. » Qu’est-ce qu’un style ? Une manière d’être seul… »*

L’extrait lu est en P.86-87

Il porte sur Gaspard Ulliel…il porte sur la beauté, sur celui qui « s’est trompé d’époque ».

Celui dont la mort « enlaidit le monde »

Et puis Christian de Maussion  pose l’immense question et donne la terrible réponse :

• Qu’est-ce qu’un style ?

• Une manière d’être seul…

Christian de Maussion *Fragments d’un sentiment*, 5 Sens Editions

Illustration : Nicolas de Staël

Chroniques

*La danse en festin*

Danseur, puis une blessure…il est devenu chorégraphe.

Je suis époustouflée par la beauté et l’unité de *La danse en festin* de Jean-Christophe Maillot.

La danse bien sûr, mais aussi toute une chorégraphie autour et avec des danseurs, des chorégraphes, des plasticiens, des écrivains, des chefs d’orchestre, des compositeurs et des comédiens… 

Il les a tous conviés pour nous offrir cette *Danse en festin*

Et Jean-Christophe Maillot confie :

« Sans les autres, je n’existe pas…ou si peu…À la différence du peintre, de l’écrivain qui, d’un coup de pinceau ou de plume, traduisent leur pensée, le chorégraphe que je suis doit passer par le corps et l’esprit du danseur pour s’exprimer… »

Tout au long de cette *Danse  en festin*, nous côtoyons des sauts, des fusions, des réincarnations, des chutes et des sauts encore et puis cette unité entre la danseuse/le danseur et l’espace, entre son propre corps et ses limites…entre la musique et la danse…

*La danse en festin*…

Nous voici tous invités au banquet !

Jean-Christophe Maillot – *La danse en festin* (Gallimard / Les ballets de Monte-Carlo

Interviews

Ardavena…nous voilà !

Nous voilà à Saint Malo avec Pascale Privey Prigent

Pascale Privey Prigent est agrégée de lettres, éditrice et auteure… 

Et c’est une Escale à distance avec l’éditrice que nous faisons aujourd’hui.

Editrice, un métier fascinant et rude. Il commence toujours par le mot « choisir ».

Choisir c’est « élaguer » aussi. Choisir est un engagement. Envers l’auteur choisi, son manuscrit. C’est un accompagnement qui demande rigueur et foi…

C’est surtout savoir encaisser… c’est un métier passion à risques.

Mais Pascale Privey Prigent nous en parle avec passion, foi et ténacité…

Ardavena…nous voilà !

Blog-Notes de Alain Hoareau

Bach comme au concert…

Un répondeur téléphonique qui diffuse de la musique classique, tout le monde connait cela. Est-ce à croire que la musique classique serait un trompeur d’ennui ? Elle,  pourtant si souvent estimée difficile d’accès, voire ennuyeuse par un public qui n’ose pas franchir les portes des salles de concert. 

Je n’ose pas croire qu’il s’agit là d’un subtil parallèle entre la difficulté d’accès à la musique et celle qui consiste à accéder à un service. Ce serait de l’ordre, même pas du deuxième, mais du troisième et plus sûrement encore du quatrième degré et l’humour n’est pas la  vertu première de ces services d’accueil. Parlons plutôt de service d’écueils…

Et c’est bien pourtant ce qui commence le spectacle musical *Come Bach*. 

Mais ici, le service est absolument parfait. Du début jusqu’à la fin il n’y a qu’à se laisser porter un quatuor féminin d’une énergie qui ne faiblit jamais. 

Jamais on ne vous laisse sur le bas-côté pendant ce voyage musical à travers la musique de Bach et de ceux qui longtemps après lui s’en inspirèrent et s’en inspirent encore. 

Piano, hautbois et cor anglais, voix, contrebasse et même un quatuor de mélodica  figurant le grand orgue d’une célèbre toccata et fugue. 

Assises, debout, couchées, perchées sur le piano, elles jouent de la musique, mais elles jouent aussi de la scène, elles bougent, vibrent, nous font bouger et vibrer avec elles. Les partitions ont disparu, mais la musique triomphe. 

Il m’a semblé que la scène qu’elles nous offraient était à l’image du chamboulement que peut produire un concert au plus profond d’un auditeur (chez qui cela reste plus discret et secret lors d’un concert « traditionnel », bien entendu…)

Et je suis persuadé que ce genre de spectacle est de nature à ouvrir bien des portes. 

C’était mardi soir au théâtre du Lucernaire à Paris le plaisir d’entendre et de voir : 

Anne Baquet, Christine Fonlupt, Amandine Dehant, Anne Regnier.

Chroniques

*ni pays, ni exil*

« Près d’un bel acacia à fleurs odorantes rouges / Par une grève du temps / La voix du poète féconde dans la tenue de ce qui reste de l’aube / Pour enterrer l’obscurité du fusil »

Plus qu’une chronique, c’est une traversée d’émotions. J’ai intercepté un Passe-Muraille, un poète militant, activiste, qui se révolte en chantant, en écrivant et dessinant sur les murs. En racontant le désespoir et l’espoir d’un pays, son pays Haïti. 

Je ne savais rien de Ricardo Boucher !  Un ami qui se reconnaîtra m’a envoyé son recueil de poèmes. Il m’a juste dit :

– Vous en ferez ce que vous voudrez, mais lisez-le et j’ai reçu le titre comme un éclat dans la tempe. *ni pays, ni exil*

Ces deux mots qui font à la fois une terre natale et un immense nulle part. 

Ricardo Boucher est un fugitif, en cavale avec ses mots,  en cavale sur son propre territoire.

On lui attribue plusieurs identités : émouvant, dangereux, poète, activiste et surtout surtout amoureux de Haïti… son île aux trésors ravagée, pillée, oubliée.

J’ai tenté d’intercepter ce jeune homme de bidonvilles, sans famille, orphelin de mère, et de la terre identitaire…  et qui ne s’en remet pas…il dira :

– C’est un naufrage dans l’absence comme un vide prolongé

Je meurs de vivre en poème cette nature humaine qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, en l’espace d’un cillement !

*ni pays ni exil*. Peut-on partir et vers où avec un titre de séjour pareil ?

Peut on rester et où avec une carte d’identité pareille ?

Et puis toutes ces questions… cette écriture intense, la beauté des mots, l’horreur de certaines images, la nostalgie, l’amour… et cet espoir fou d’être entendu et à défaut d’avoir raconté… comment trouve t’il la force d’écrire tout cela…

Je ne sais toujours pas qui est vraiment Ricardo Boucher, je sais simplement qu’un recueil qui a pour titre et *ni pays ni exil* se doit de trouver au moins une terre d’accueil,  peut-être dans nos mains, peut-être  dans notre mémoire… pour contrer l’oubli qui mange parfois les gens et les pays…

C’est  comme un hors série, une traversée d’émotion. *ni pays, ni exil* chez LEGS ÉDITION, avec la bouleversante préface de Dieulermesson Petit Frère

Ce recueil de poèmes, C’est l’insaisissable d’une vérité, d’un visage… d’un engagement. 

C’est l’histoire d’un très jeune homme  qui nous écrit de Haïti…

Il s’appelle Ricardo Boucher

Et sur la page de couverture de son livre, le prénom, le nom, le titre ne portent aucune majuscule…

Chroniques

« Hors-Série »

« Ce qui est grand ce n’est pas l’image, mais l’émotion qu’elle provoque »

Et ces photos sont des images…

Merci infiniment  à Anne Ghisoli et son équipe, à la Librairie Gallimard Paris de nous recevoir et de permettre ainsi de formidables rencontres.

Merci à toutes celles et ceux qui ont accepté mon invitation.

Merci au public, présent ou à distance

Merci au Café Restaurant Les Éditeurs,

au Café de Flore, au Darocco, à Brasserie la Contrescarpe

Et sans oublier la Librairie du Cinéma du Panthéon et les rencontres cinema littérature du début. 

Alors je répète encore et encore les mots de Pierre Reverdy :

« Ce qui est grand ce n’est pas l’image, mais l’émotion qu’elle provoque »

Chroniques

*Ressacs*

« Les mots ne se relèvent jamais de leur chute silencieuse… »

*Ressacs* d’Alexis Bardini (Sébastien Minaux) est un recueil d’eau…eau salée, eau douce…

Il y a la mer, il y a comme des gouttes de pluie qui tombent lentement sur la vitre. Très lentement et elles portent une enfance, une mère disparue, des ruptures et quelques épiphanies…

Il y a aussi le face à face d’un homme et de son ombre qui se parlent, qui parlent, qui se consolent peut-être de ce qui a été ou n’a pas été. 

Alexis Bardini semble écrire entre chien et loup :

« C’était le soir/ Et l’horizon lancait la vague au ciel

Un homme sur les quais/Tous ces chants de marin/Lui faisaient cortège

Il est lucide sur les mots, sur leur chute parfois irrémédiable :

« Les mots ne se relèvent jamais de leur chute silencieuse… »

Pourtant, des lucioles lumineuses éclairent aussi l’ombre. Des poèmes comme en suspension. Toujours ce goutte à goutte qui selon peut guérir ou assombrir.

*Ressacs*, comme ces vagues qui emportent et ramènent au rivage.

Alexis Bardini ne livre qu’une part de sa propre vague. Il ne livre qu’une sonorité qu’il nous laisse interpréter à notre guise.

Il sait que tout ce qui s’écrit sur le sable est appelé à disparaitre. 

*Ressacs* c’est comme un « je » qui apparait et disparait : 

« Dans mon pays de nage lente/La nuit tient ses assises/Sur de très hauts plateaux

Lorsqu’un homme se dresse, il est comme une épingle au fil du vent… »