Chroniques

*Parmi toutes les autres*

*Parmi toutes les autres* ou si peu…

« Vous étiez revenu. Parmi toutes les autres, vous m’aviez remarquée. »

Opéra de Paris, fin du XIXᵉ siècle.

Adèle a quinze ans. Elle est petit rat à l’Opéra.

Les pieds en sang, le sourire obligé. Grâcieuse toujours.

Parmi les messieurs venus lorgner les ballerines, un regard différent, le peintre des danseuses : Edgar Degas 

Un après-midi de mai, quelques mots… et Adèle   l’emmène dans sa chambre.  Ils s’aimeront.

Elle dira l’éblouissement de ce moment. Elle dira ces arbres de printemps qui bruissent et lui rappellent le bruit de la mer. 

Elle sait déjà qu’il ne reviendra plus, mais elle sait aussi que ce « si peu »  la tiendra toute une vie.

En partant, Degas lui laisse un dessin, une esquisse : Portrait de famille.

Adèle se mariera, aura un enfant. Lui aimera ailleurs.

Hélène Veyssier signe « un roman d’absence et d’obsession, tout en clair-obscur ».

Un récit où l’amour est plus vaste que l’événement, où l’attente devient l’œuvre.

On y retrouve la cruauté du métier de danseuse d’Opéra à l’époque : la discipline qui dévore, la pauvreté en coulisses, les regards qui marchandent au-delà de la beauté de la danse.

Pourquoi lire ce roman ? 

– Déjà pour la grande beauté de l’écriture d’Hélène Veyssier. Elle a ce style dépouillé qui en peu de mots, plante un décor, son paysage, son atmosphère, son arrière-pays.

Et ce personnage d’Adèle ! Il a sûrement existé sous d’autres formes. Il est émouvant pour cela. Ce roman c’est « Adèle ». C’est autour de ce « si peu ».

Degas a peint, dessiné, sculpté les petits rats de l’Opéra avec une intensité quasi obsessionnelle. Mais cette obsession était surtout d’ordre esthétique et sociologique. Il s’intéressait à la mécanique du corps en mouvement, à la discipline, aux coulisses, à la lumière des cintres, à ce que l’œil mondain ne voit pas…Il n’a pas laissé trace d’un grand amour je crois.

– Et puis, parce qu’il y là un vertige. Un immense vertige : comment un instant peut nourrir toute une existence.

– Et aussi, parce-qu’Edgar Degas, sans le vouloir, a offert à Adèle un destin. 

Peut-être ajouter, que ce roman/fiction parle un peu de nous. De ces obsessions qui parfois nous habitent et que nous tissons en fils mémoire…. Tantôt comme un filet pour ne pas tout à fait tomber, tantôt comme un fil de cerf-volant pour continuer de nous élancer plus haut… pour continuer de « respirer » en quelque sorte.

Il faut si peu pour « vivre » et Adèle qui continue son soliloque avec Degas bien après la mort du peintre, lui dira :

« Si quelqu’un se souvient de la petite danseuse, alors qu’il entende en écho l’histoire de votre tableau et la mienne et qu’ainsi j’existe »

Et nous savons aujourd’hui qu’elle existe. Et nous ferons  écho à sa voix, à sa vie….à ce si peu…

Helene Veyssier – *Parmi toutes les autres* (Éditions Buchet/Chastel)

Chroniques

*Voyage avec Zoë Lund*

*Voyage avec Zoë Lund* ou écrire sur la « ligne »…

*Voyage avec Zoë Lund* (Lanskine Editionsé) s’ouvre sur comme un monologue. Véronique Bergen l’autrice, écrit/parle comme pour elle-même. Mais c’est un plan en double page. Et nous voyons sur la page de droite une jeune femme assise qui lit.

C’est Zoë Lund. La photo est ancienne. Zoë lisait en fait le scénario de Richard Hell, Meet Theresa Stern (octobre 1998)

Mais nous oublions ce que lit Zoë Lund. Et elle  semble lire ce qu’écrit Véronique Bergen. Celle qui vite passe au tutoiement : 

« Zoë, tu agis sur moi, comme un aimant, comme un double. Te voir, c’est me voir »

Et nous comprenons que nous n’assistons pas à une biographie. Ni à une fiction.

Deux jeunes femmes qui se ressemblent sont face à face.  Le temps est aboli.

L’une, Zoë Lund est morte à 37 ans d’une overdose. Elle a passé sa vie en nomade, dans l’excès, les veines traversées de feu, mais aussi d’un talent infini. Talentueuse et Incandescente jusqu’à l’implosion. 

Zoë Lund, née Tamerlis, ange noir des films d’Abel Ferrara a été également scénariste, compositrice, musicienne, auteure,  mannequin, activiste et surtout « junkie ».

L’autre, Véronique Bergen, est philosophe, romancière, poétesse. Elle a décidé d’écrire face à face avec cet ange noir qui a brulé sa vie. Elle décide par l’écriture de lui parler à l’infini.  

Au début,  nous ne comprenons pas vraiment pourquoi, mais c’est parce-que nous avons lu trop vite.

Véronique Bergen l’annonce d’emblée pourtant  :

« Zoë  tu agis sur moi comme un aimant, comme un double. Te voir, c’est me voir »

Et nous n’avons plus de doute sur le face à face, sur ce « tu », sur la beauté de l’écriture de Véronique Bergen qui vient faire baume sur les déchirures assumées de Lund : 

« Tu vouas un culte au rituel du shoot avec un jusqu’au boutisme flamboyant ».

Ce que veut nous dire Véronique Bergen est grave, plus grave encore. 

En fait Bergen nous dit que Zoë Lund  n’a jamais rien négocié. Avec personne. Même pas avec elle-même.

*Voyage avec Zoë Lund* est un livre rare. Nous croyons lire sur Zoë Lund, mais la véritable héroïne du livre est Véronique Bergen.

Elle parle d’elle quand elle parle de Zoë. Elle a ses propres volutes qui ne sont pas des drogues. 

Et dedans des images qui la vrillent… celle de l’enfance, celles de la mère.

Elle a besoin d’une confidente, qui puisse comprendre, qui puisse ne pas juger son vertige, ses mots absinthe, sa propre mise en abime, sa polyphonie, son nomadisme.

Elle a besoin des lignes de l’écriture pour parler d’elle Véronique Bergen. 

Elle avait écrit dans * Ecume * :

« L’écriture doit créer, réinventer à chaque coup sa liberté »

Et avant que l’ombre ne reprenne le territoire dans *Voyage avec Zoë Lund *, nous trouvons à la fin du livre comme un jeter de quelques poèmes déjà enveloppés de brume : ce sont ceux de Zoë Lund.

Il faut les lire pour comprendre combien elle ne négocie jamais « Zoë ».

Et encore sous l’émotion de notre lecture, cette dernière photo de Zoë Lund. Elle est comme une suite à la première photo où elle lisait.

Dans celle-ci, Zoë Lund semble debout. Pensive, peut-être inquiète. La main sur la bouche, elle regarde quelque chose ou écoute encore quelqu’un…peut-être Véronique Bergen qui reprend ce que nous n’avons pas complétement dévoilé au début :

« Je ris de me raccrocher à une noyée, à une visiteuse des régions obscures, de bourrer mon panthéon d’intercesseurs de figures tragiques, de junkies fantasques, de vagabondes flirtant avec l’abîme, grands inadaptés de l’existence qui me renvoient à ma mère si peu à l’aise avec ce qu’on appelle la vie… »

Une histoire personnelle s’est tissée dans « l’impersonnel » d’une autre histoire… 

Et nous comprenons mieux ce qui fascine tellement Véronique Bergen, ce qui la fascine jusqu’à s’en brûler les yeux !

Véronique Bergen, *Voyage avec Zoë Lund*, éditions LansKine (2025)

« Traduction des poèmes de Zoë Lund par les éditeurs aidés de @ClaroClaro »

Photo de couverture, Zoë Lund photographiée  par son époux Robert Lun

Interviews

L’escale de Jeanne avec Pierre Perrin

« Devant la pluie à verse, un verdier décoiffe ses ailes. Imitons-le, si nous pouvons. Secouons le morne, la morosité. Touchons la lumière. Le temps n’est plus d’apprendre, sinon ceci : Partage ton savoir et meurs. Et toi, jeune, vis ton soûl… »

Pierre Perrin * Le goût de vivre* (Extrait)

Nous avons secoué le morne, la morosité…

Un feu d’artifice de questions réponses.

C’est drôle, émouvant, décoiffant, grinçant, bouleversant et puis…

Et comme l’écrit Pierre Perrin :

« L’âme a son rythme, ses éclairs et sa lenteur ensemble. C’est pourquoi elle nous dépasse »

Et il ajoute :

« Je vous souhaite mille bonheurs »

L’estampe de couverture de l’essai Le goût de vivre est signée Florence Crinquand

Interviews

L’escale de Jeanne avec Lise Marzouk

L’Escale de Jeanne en *terre natale*

Dans *La Dernière Porte*, (Éditions Héloïse d’Ormesson), Lise Marzouk tisse un roman bouleversant, intime et lumineux, où la maternité devient espace sacré, lieu de bascule entre l’avant et l’après.

Dans le huis clos feutré d’une maternité parisienne, dix femmes traversent l’épreuve de l’accouchement. Face à elles, Clémence, une infirmière d’un mètre cinquante-cinq à peine, incarne le soin dans ce qu’il a de plus humain : prendre soin pendant et après de chaque femme venue accoucher. Tenter de leur laisser un peu de douceur même quand certaines repartent les bras vides.

Le silence aussi parfois en bandoulière… en garrot…

Dix chapitres, dix “portes”, comme autant de seuils de vie. 

Le roman n’est ni médical ni théorique : il parle du réel, dans ce qu’il a de douloureux, de miraculeux, de profondément humain.

Et la plume de Lise Marzouk : « forte », le mot juste, aguerrie à l’attente, à la peur, à l’espoir…

Chroniques

*Lettres*

*Lettres* de Guillaume Dreidemie ou Chute libre vers la lumière

Guillaume Dreidemie écrit comme on creuse. Avec les mains. Avec le souffle. Avec la patience et l’instinct d’un archéologue. Chaque mot est pierre, silence, cicatrice, trace d’un chant ancien.

L’auteur a une vie double. Philosophe  et poète, il écrit pour faire signe au monde et attend que le monde lui réponde.

Son dernier recueil, *Lettres*  La rumeur libre éditions), ne contient que trois lettres. Trois gouffres lumineux. Habités de voix, d’ombres, de prières.

 — La première lettre est : La lettre du peintre, ou plutôt de son pinceau. L’image n’est pas banale…

Il faut plonger le pinceau dans la matière, dans la lumière, dans le paysage. 

Ici tout est affaire de gravité. 

C’est dans la chute que la vision s’ancre :

« Le jour finissant a noué le lien 

Des roches inoubliables 

Avec l’ombre du peintre… »

Mais ce n’est assez. Guillaume Dreidemie est un homme tourmenté. Un homme en attente :

« …l’écho ne livre 

qu’une voix de rivière, 

à peine un murmure 

qui s’incline au silence,

tout est peut-être mort, alors 

Faut-il peindre plus bas ?

Le poète est à l’écoute. L’oreille contre terre. Pour mieux entendre celle qui pourrait revenir…

— Et c’est la deuxième  lettre. La lettre de la mère.

Cette lettre est plus intime, elle porte une voix. Une voix rude et inquiète. 

La voix vient  de loin. Elle parle de l’oubli. Celui que l’on porte comme un déni :

« Il pèse en vous l’oubli. »

Et il faut délester le fils.. Le délester de l’oubli et laisser place au souvenir. A la douceur nostalgique du souvenir.

Alors la voix met distance, elle vouvoie, elle « ordonne » :

« Car vous allez vous lever, prendre mes os en poudre,

Prendre cette poudre dans votre paume.

Vous aurez peur du vent, de la tempête qui emportera les cendres.

Vous sentirez l’oubli disparaître,

Vous sentirez le pas du souvenir,

Et vous m’entendrez vous dire :

Je vous aime… »

Et la brèche promesse s’ouvre pour la vie, pour l’amour, pour celles qui viendront : 

« Je veux qu’elles chahutent les feuillages en déposant leurs rires. »

Cette lettre bouleverse. La mère  reprend son rôle. Elle pousse le grand enfant à vivre…

 — La troisième lettre, c’est la Lettre à Rome. 

C’est là que le recueil touche à l’écharde sacrée. Celle des exils. 

Le mot « Vivam » scintille fragile, en bordure d’un autre bannissement : Ovide !

« Voici les fleurs vives des Métamorphoses ,

Ovide ! »

Et Rome ici redevient une terre de mythes et de légendes.  On y parle d’oubli encore, mais aussi de mémoire. 

On y pleure, on y espère. Et une forme ancienne d’incantation sourd d’entre les pierres :

« N’oublions jamais de chercher le sens des pierres,

Leurs nervures, pour qu’y paraisse un dieu,

Un geste, que sais-je, déesses ?

Pour que la vie surgisse, de joie ! »

*Lettres* est un recueil minéral. Un site archéologique de « l’éternel retour »

Une présence discrète et insistante le traverse.

Elle tient le texte. Elle l’élève sans l’arracher au sol.

Et Guillaume Dreidemie enroule un long et bouleversant poème autour de blessures fossiles. 

Les nôtres ! Les siennes ! 

Le tout nimbé d’un grand rai de lumière :

« Chercher la lumière.

Ne jamais se confondre avec l’ombre qui se raidit.

Graver une à une les notes de la chanson

Jusqu’au refrain qui vous anime,

Qui vous ranime et laisse bruire

Tous les arbres de votre village, de votre ville, de vos forêts ! »

Guillaume Dreidemie, *Lettres*

La rumeur libre Éditions 

Photos ©Guillaume Dreidemie

Chroniques

*Doux leurres*

*Doux leurres* ou la grâce cabossée du fragment.

Jean-Paul Gavard-Perret a cette façon d’écrire en bordure d’un lieu, d’images, d’un temps qu’il conjugue en bord de mémoire.

*Doux leurres*, son dernier livre, le confirme. 

Déjà cette splendide photo de couverture signée Sylvie Aflalo

Puis le texte qui se présente comme un feuilleté de fragments, « une dérive maîtrisée ».

Et nous reconnaissons  aussitôt la marque de l’auteur. 

Ce tremblé entre les lignes, les mots qui troublent la vue, des personnages qui sortent de l’ombre pour mieux appuyer la perte, le frisson, le temps joie, la bascule.

Cette forme d’écriture  exige une lecture lente entrecoupée de respirations

Une voix singulière s’y déploie, traversée de présences comme Beckett, Cézanne, Pollock, Rimbaud, mais jamais soumise à ces  influences. 

« Ces figures tutélaires sont là comme des échos, des balises ».

Jean-Paul Gavard-Perret creuse son propre sillon, seul, sans filet, dans une langue à vif. 

Il sait le temps qui nous est imparti. Il sait l’écriture à rebours. Il sait l’attention au langage et à ses seuils.

*Doux leurres* devient la camera obscura. 

On y avance à tâtons, parmi les fragments, les souvenirs, le père, la mère, d’autres… et cette figure féminine qui lui fait battre le coeur et aiguise ses fantasmes :

« Le mien (le cœur) tourne encore autour pour rappeler qu’il n’est pas parti. Du moins, pas trop loin, pas en totalité. Mes images pénètrent le regard. 

C’est là que souvent nous vivons. Que nous avons vécu… »

Et nous comprenons qu’il ne d’agit  pas de raconter une histoire, mais d’en disperser les éclats…

Et puis quelle foi tenace en la langue, ses tours, ses plis, ses vertiges :

« Une langue qui tente de dire ce qui se dérobe, ce qui manque, ce qui s’invente ».

Ici écrire c’est résister ! C’est faire du mot une silhouette, un cinéma, une confidence.

*Doux leurres* devient alors une traversée intérieure, un jeu de reflets, un surgit que les mots arrachent à l’ombre.

Et dans le tumulte de ses fragments, Jean-Paul Gavard-Perret nous rappelle que l’écriture est avant tout, un geste de survie :

« L’écriture, dès la moindre petite flamme, a toujours des pensées d’incendie… »

Et Jean-Paul Gavard-Perret continue à fragmenter, mais  à voix basse :

« L’espoir s’amenuise. Je passe et vous aussi, puisque tout s’enroule en spirale dans le noir annoncé des points de suspension…

Lisibles et divisés, ils couturent de leur possible l’incertain… »

*Doux leurres* est un livre sans pathos, mais sans consolation.

Gavard-Perret nous a juste tendu un fil, pour suturer au mieux ce qui a été, ce qui n’a pas été, ce qui peut-être reste à être…

Et nous voici irrémédiablement pris :

« dans l’étreinte trouble d’un texte qui sait mourir tout en renaissant, mot après mot ».

Jean-Paul Gavard-Perret, *Doux leurres*, Éditions Constellations (juin 2025)

Photo de couverture Sylvie Aflalo

Disponible en librairie et sur le net déjà chez Eyrolles et à La Procure.

Chroniques

*Féerie, ma perte*

*Féerie ma perte* ou la splendeur des égarés…

Tout d’abord cette magnifique photo tableau de la couverture.

On y voit une jeune femme à la chevelure enflammée, comme emportée par une bourrasque invisible. Comme si le temps avait saisi un instant de chute ou d’extase. Sa robe rouge et noire, somptueuse, évoque la passion, le sang, la fièvre. Elle est à la fois royale et défaite.

Et plus on regarde et plus cette jeune femme semble comme giflée. C’est la claque de l’abandon, de la perte.

Le décor est sombre, le bois d’une porte encadre la scène…un théâtre. 

« Un castelet. Des marionnettes, une mère toute puissante qui sculpte des poupées  vivantes et au centre Pupa, fille sacrifiée, jouant avec ses doubles comme on rejoue une naissance devenue faute » nous dit la dernière de couverture.

Et Le titre du livre, * Féerie, ma perte*, prend alors tout son sens. 

La féerie n’est plus une échappée vers l’innocence, mais une descente somptueuse et douloureuse dans les replis d’une enfance : 

– Oh ! Maman, ma candeur ensevelie, mon enfance vacante aimaient, sans le savoir, l’enfance…

Il est des livres que nous ouvrons avec grand soin. Nous savons que nous allons y trouver  d’anciennes entailles jamais cicatrisées. 

Paloma Hermina Hidalgo fait crisser les mots dans les plaies. Elle fouette au cuir et jusqu’à la jouissance, une enfance déjà lacérée. 

Au cœur du texte, au cœur de la féerie, la mère. Non pas la mère nourricière, mais la mère origine, la mère faille. Créatrice de poupées désarticulées, elle donne la vie comme on jette un charme. Elle devient le terreau de l’amour qui désaxe.

Et Pupa ne sait plus grandir. Elle est habitée d’un orphelinisme destructeur.

L’écriture de Paloma Hermina Hidalgo, est d’une luxuriance féroce. Baroque, tendue, charnelle, troublante, poétique.

Obsessionnelle  aussi : 

– La vraie nature des choses, c’est Maman…

Tout tangue entre vénération et profanation. Entre sacré et saccagé.

Des halètements comme des suppliques maquillées de rouge sang.

Et les tentatives de purification. 

Ainsi ces vers en exergue. Ils sont en italien et nous tentons une maladroite traduction :

– O giglio giglio quanto sei crescente / Ricordati del ben ch’io ti vỏ sempre »

Ô lys, lys, combien tu es florissant /Souviens-toi du bien que je te veux toujours.

Et l’image de la couverture nous revient en boomerang. Cette  jeune femme comme soufflée par un vent invisible, renversée, offerte ou fauchée… 

La fille poupée, la créature féerique à peine née, déjà condamnée.

Et nous restons là, lecteurs  médusés, à contempler le terrible de l’abandon, de la perte : 

– Ô Maman, que j’ai rendue témoin du pouvoir de mes charmes, détruis, en me changeant, cette beauté qui cause notre luxure…

Nous ne saurons rien de la suite. Le recueil se referme et nous déposons  des fleurs imaginaires sur le « couvercle… ». 

Les fleurs gardent un peu d’eau.

Comme pour exorciser… 

Étions-nous dans une histoire vraie ou une fiction ? Les deux ! Certainement ! 

*Féerie ma perte* est de ces livres qu’on encaisse ! 

Paloma Hermina Hidalgo, *Féerie, ma perte*, Editions de Corlevour / revue la forge

Chez l’éditeur et en librairie le 17 juin 2025

Crédit  photographique : Quentin Caffier

Interviews

L’escale de Jeanne avec Guillaume Basquin

Basquin envers et contre tous ?

Il est éditeur, écrivain, revuiste. 

Il est intraitable (entre autres) sur des citations dans un texte, posées ça et là pour faire « cultivé » :

 « La citation n’est pas un extrait / la citation est une cigale / sa nature est de ne pouvoir se taire… »*

L’écrire, chez Guillaume Basquin, est un acte d’engagement radical, un geste esthétique et politique à contre-courant de la littérature marchande et normée. 

Pour lui, l’écriture n’est pas un simple moyen de raconter, mais une expérience, un corps à corps avec la langue, une façon de désécrire autant que d’écrire.

L’écrire de Basquin est aussi politique, au sens large. 

Non partisan, mais résistant. 

Résistant à la standardisation, à l’édition de masse, à la mort du risque littéraire. 

Son épouse  Christelle Mercier et lui ont créé les  Editions Tinbad et une revue *Les Cahiers de Tinbad*

Guillaume Basquin est un homme doux aux rêves simples, ceux d’une famille heureuse et tendre.

Mais Guillaume Basquin éditeur et auteur est « un insurgé ». Envers et contre tous, il veut sauver le langage, la littérature, le livre papier, la musique et les films en argentique.

Et quand on lui demande quel est son rêve, il sourit ému et pudique et avoue rêver d’être de ces « perdants magnifiques… » !

Basquin envers et contre tous ?

Il faut l’écouter… jusqu’au bout !

Chroniques

*Sois papillon*

« La grosse patte du lion ne peut capturer le papillon. Face à la mort, aux pouvoirs, à tout ce qui enferme, sclérose ou pétrifie, sois un papillon. »

Et nous comprenons déjà avec, en exergue, ces mots d’Henri Gougaud, que le recueil de Marcelle Pâques, *Sois un papillon*, sera un allié contre le vent mauvais. Contre tout ce qui nous enferme. Contre ce qui oppresse le cœur et les mots :

– C’est étroit / les certitudes / comme une ruelle / bordée par des murs oppressants…

Et nous levons tout doucement un loquet de porte. Et nous voilà dans un jardin où des fleurs sauvages côtoient d’autres bien alignées, presque apprivoisées. 

Mais Marcelle Pâques est en urgence des mots. Elle nous les livrent habités d’un grand large, d’une vue imprenable sur un lumineux jour d’été :

– Cet amour là / c’était beau comme un repas de fête / un jour d’été…

Et puis, elle les parent d’un léger tissage un peu prémonitoire et mélancolique : 

– Tout le monde s’active / tricotant une écharpe de souvenirs / Un truc / pour réchauffer la vie / les jours d’hiver / et de grisaille…

Et Marcelle Pâques déroule le fil pour que chaque mot s’ajuste au mieux à l’ordinaire des jours, à la béance de l’absence, à la douleur des guerres, à l’étroit des certitudes…

Mais dans le fil il y a couleur. Celle de l’heure bleue. L’heure magique où :

– L’aurore éparpille / des écharpes douces / de glaces à la fraise…

*Sois papillon* nous a-t-elle dit et le papillon semble gagné de vertige à l’idée que : 

– L’été se meurt / dans la brume d’Ostende…

Mais un papillon sait aussi  le merveilleux du lâcher-prise :

– Lâcher- prise / Se laisser porter / par l’océan des jours / plonger sans crainte / Là / où l’âme s’émerveille…

Et cette magnifique illustration de couverture de Catherine Hannecart traversée par un papillon rouge… 

Toute la vaillance, toute la légèreté, toute la force du papillon était derrière ce petit loquet de porte que nous avons tout doucement soulevé. 

Marcelle Pâques, * Sois un papillon*, Editeur Claude Donnay

Revue et Editions Bleu d’Encre 2025, 48 p., 15 €

Chroniques

*Radieuses*

Deux femmes se répondent, deux voix singulières. 

Pat Ryckewaert (Patricicia  Ryckewaert) et Rachel Rita Cohen ne se connaissaient pas. Elles auraient pu ne jamais se connaître. Le miracle des mots, de leur légèreté à gravir les montagnes, à traverser les silences, à trouver l’autre…

Patricia dit :

– Tu parles / et ta voix-sœur me vient / comme un souffle ininterrompu / Tu parles radieuse / pour ne rien taire / de ce qui te fait vivante / de ce qui nous tient debout

Rachel répond :

– Le mot / Les yeux mouillés / Larme tombe / dans le sable / Dans le bruit de la pierre / Pousse une fleur / Une fleur épice / Vient radieuse / Je viens glisser dans ton poème…

L’une a fui un pays, l’autre une enfance. Toutes deux sont en exil, mais l’exil n’est pas silence. Elles écrivent. Elles chantent surtout. 

C’est un chant fendu et pourtant si tendre…

Et un mot comme une incantation, comme un chapelet que l’on égrène :

Radieuses…Radieuses…Radieuses…

Et dans le mot, quelque chose émerge,  comme un instant de grâce, comme une brèche lumineuse dans le destin, comme une mémoire retrouvée et qu’il faut déposer pour avancer : 

– Je viens vers toi / cueillir la rose des sables / vents du Caire enfouis / dans ta mémoire…

– Je t’entends / Je te vois / Dans le Delta /Gange du Nil / Radieuse…

Le titre du recueil est revendiqué ! Il claque comme une victoire…

Radieuses !

Deux femmes se sont levées et ont levé avec elles tout ce qui les faisait plier … 

L’une avance en sourdine, l’autre frappe à grands coups de tambour.

Et ensemble, elles tissent une étoffe, moirée, soyeuse, fragile…Radieuse :

– Je viens vers toi radieuse et le verbe épicé

– Je sais / Je t’entends / Je te vois …

Radieuses ! Fiat Lux !

Patricicia  Ryckewaert et Rachel Rita Cohen, *Radieuses*, Editions Chevre-feuille étoilée