Chroniques

*La maison vide*

Cher Laurent Mauvignier,

J’ai refermé votre livre *La maison vide*, il y a environ deux mois et je continue pourtant d’arpenter ses pièces. 

Votre roman n’est pas un livre seulement. C’est une topographie affective. 

Nous entrons dans une maison vacante. 

Vous aviez très sobrement prévenu : 

« C’est parce que je ne sais rien ou presque rien de mon histoire familiale que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure… »

Et j’ai compris que vous lire, c’est habiter une absence, c’est habiter un effacement.

Cher Laurent Mauvignier, je ne vous écris pas en lectrice “émue”.

Je vous écris en lectrice atteinte.

Ce qui m’atteint déjà, c’est la forme même de votre courage. Vous n’avez pas cherché à magnifier la mémoire. Vous avez regardé en face un héritage dont vous ne saviez  rien, ou presque rien et vous en avez tiré une épure. Vous avez écrit un livre mémoire,  avec une mémoire sans archives. 

Vous avez compris que le drame n’est pas seulement de perdre les histoires, de les oublier, mais c’est de devoir les inventer pour survivre. Pour retrouver ces parts de soi, qu’on ne connaissait pas.

La violence de la transmission, vous ne l’expliquez pas, vous la montrez avec les « négatifs » trouvés dans la maison. « Un piano, une commode au marbre ébréchée, une Légion d’honneur, des photographies sur lesquelles un visage a été découpé aux ciseaux »

Et puis, des prénoms…

Et ces deux guerres mondiales.

Cette violence inouïe des objets de la lignée et dont on ne sait rien, traverse un très grand nombre de familles… comme un fleuve souterrain et gelé. Il faut un brise l’âme pour avancer. Pour briser les couches de silences gelés.

Et vous, vous avez eu l’audace de faire de ces silence un formidable « matériau ».

Je vous suis reconnaissante pour ce que je ne sais pas faire. Faire confiance au vide. Oser l’affronter. 

Vous avez fait confiance au vide. Vous l’avez travaillé comme un métal qu’on martèle sans bruit. Sur l’absence et les secrets vous avez travaillé les phrases. L’une après l’autre. Vous les avez déposées, l’une après l’autre.

Avec ce geste, vous avez fait un chemin. Un chemin de sismologie intime. C’est ça la littérature aussi.

Cher Laurent Mauvignier. Vous êtes le lauréat du Prix Goncourt 2025. Je suis très heureuse pour vous. Les autres auteurs candidats n’ont pas démérité. Mais il fallait choisir.

Mais que vous ayez eu le Prix Goncourt ou pas, cette lettre je vous l’aurait écrite. Aujourd’hui je l’écris de *De la maison vide*

Nous sommes très nombreux dans la   *Maison*. Nous sommes les plus légitimes à pouvoir y entrer. 

Nous  sommes vos lecteurs tout simplement.

Et puis au loin nous entendons :

-Bravo, bravo Laurent.

Ce sont les vôtres, ceux que vous avez remis en lumière.

Et nous vos lecteurs, nous vous disons simplement MERCI pour cette *Maison vide* qui nous a tant appris peut-être sur vous mais aussi sur nous-mêmes. 

Laurent Mauvignier, *La maison vide*

Éditions de Minuit

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