Philippe Colmant dans la chambre noire…
Il écrit « au noir lucide ». Et c’est sans doute là que tout commence, dans ce presque rien, dans cette chambre noire où l’absence développe ses négatifs.
*Verso de l’ombre*, le dernier recueil de Philippe Colmant (Editions Le Coudrier), est une photographie du deuil, une traversée lente et lumineuse de la perte, à la fois intime et universelle.
Tout s’ouvre comme dans une camera obscura. Le noir d’abord, puis le geste d’écriture. Et enfin la lumière qui se risque à graver sur la paroi du cœur une silhouette, une ombre, un vestige :
« J’ai accroché ton vieux manteau / À la patère des jours lents… »
D’un vers à l’autre, Philippe Colmant « développe » l’image du père disparu, non pour le retenir, mais pour l’atteindre un peu encore, dans ce territoire incertain de la mémoire et de la disparition.
Il y a du Roland Barthes dans cette manière d’habiter la photographie du manque.
Dans La Chambre claire, Barthes écrivait : « Ce que la photographie reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois ».
Le poète semble en reprendre l’écho.
Chaque poème fixe ce qui fuit, mais annonce aussi, que la lumière sitôt apparue, contient déjà sa perte.
« À quel baiser / Sourit la lune ? » demande-t-il, dans un souffle.
Et la lumière passe, puis s’éteint.
Le poème devient l’endroit même où l’absence respire. Le lieu de ce qui reste du souffle, du regard, du mot.
*Verso de l’ombre* se feuillette comme un album de famille, comme la dernière possibilité de se parler.
« Il restait tant à dire / Sur cet embarcadère… / Je t’ai laissé un mot / Au verso de ton ombre ».
Et tout au long du recueil, Philippe Colmant, poète et traducteur, travaille cette frontière trouble entre la langue et le silence. Traduire, c’est franchir un seuil. Écrire le deuil, c’est traduire l’indicible.
Et dans ce double geste, le poète interroge le temps :
« La vie nous grandit / L’âge nous émiette… ».
L’homme au bout des mots, se confronte à l’érosion, à la poussière, mais aussi à la lumière qui demeure.
Car s’il y a perte, il y a persistance. Si « le cœur claudique », comme Philippe Colmant l’avoue, il bat encore, obstinément…
« Toujours la même extase / Devant le ciel du soir / qui se couche en chantant… »
et le poème ici relève de l’incantation, d’un refus doux et ferme de s’effacer.
Dans *Verso de l’ombre*, Philippe Colmant écrit contre la nuit, mais avec elle. Il interroge la mémoire, non celle qui enferme, mais celle qui éclaire.
Chaque texte est une carte mémoire du cœur, un cliché tremblé, un portrait en creux.
Et lorsque l’on referme le recueil, c’est un peu comme si on refermait la chambre noire… avec ce rai de lumière qui filtre jusqu’à la « pellicule rétine » des lecteurs que nous sommes.
Avant nous et après nous, Il y aura toujours une camera obscura où la grâce d’un poème sera fil de lumière
Philippe Colmant, *Verso de l’ombre*, Éditions Le Coudrier.
Avec Joëlle Aubevert et les Éditions Le Editions Le Coudrier
Les photographies du recueil sont signées Philippe Colmant

