*Lettres* de Guillaume Dreidemie ou Chute libre vers la lumière
Guillaume Dreidemie écrit comme on creuse. Avec les mains. Avec le souffle. Avec la patience et l’instinct d’un archéologue. Chaque mot est pierre, silence, cicatrice, trace d’un chant ancien.
L’auteur a une vie double. Philosophe et poète, il écrit pour faire signe au monde et attend que le monde lui réponde.
Son dernier recueil, *Lettres* La rumeur libre éditions), ne contient que trois lettres. Trois gouffres lumineux. Habités de voix, d’ombres, de prières.
— La première lettre est : La lettre du peintre, ou plutôt de son pinceau. L’image n’est pas banale…
Il faut plonger le pinceau dans la matière, dans la lumière, dans le paysage.
Ici tout est affaire de gravité.
C’est dans la chute que la vision s’ancre :
« Le jour finissant a noué le lien
Des roches inoubliables
Avec l’ombre du peintre… »
Mais ce n’est assez. Guillaume Dreidemie est un homme tourmenté. Un homme en attente :
« …l’écho ne livre
qu’une voix de rivière,
à peine un murmure
qui s’incline au silence,
tout est peut-être mort, alors
Faut-il peindre plus bas ?
Le poète est à l’écoute. L’oreille contre terre. Pour mieux entendre celle qui pourrait revenir…
— Et c’est la deuxième lettre. La lettre de la mère.
Cette lettre est plus intime, elle porte une voix. Une voix rude et inquiète.
La voix vient de loin. Elle parle de l’oubli. Celui que l’on porte comme un déni :
« Il pèse en vous l’oubli. »
Et il faut délester le fils.. Le délester de l’oubli et laisser place au souvenir. A la douceur nostalgique du souvenir.
Alors la voix met distance, elle vouvoie, elle « ordonne » :
« Car vous allez vous lever, prendre mes os en poudre,
Prendre cette poudre dans votre paume.
Vous aurez peur du vent, de la tempête qui emportera les cendres.
Vous sentirez l’oubli disparaître,
Vous sentirez le pas du souvenir,
Et vous m’entendrez vous dire :
Je vous aime… »
Et la brèche promesse s’ouvre pour la vie, pour l’amour, pour celles qui viendront :
« Je veux qu’elles chahutent les feuillages en déposant leurs rires. »
Cette lettre bouleverse. La mère reprend son rôle. Elle pousse le grand enfant à vivre…
— La troisième lettre, c’est la Lettre à Rome.
C’est là que le recueil touche à l’écharde sacrée. Celle des exils.
Le mot « Vivam » scintille fragile, en bordure d’un autre bannissement : Ovide !
« Voici les fleurs vives des Métamorphoses ,
Ovide ! »
Et Rome ici redevient une terre de mythes et de légendes. On y parle d’oubli encore, mais aussi de mémoire.
On y pleure, on y espère. Et une forme ancienne d’incantation sourd d’entre les pierres :
« N’oublions jamais de chercher le sens des pierres,
Leurs nervures, pour qu’y paraisse un dieu,
Un geste, que sais-je, déesses ?
Pour que la vie surgisse, de joie ! »
*Lettres* est un recueil minéral. Un site archéologique de « l’éternel retour »
Une présence discrète et insistante le traverse.
Elle tient le texte. Elle l’élève sans l’arracher au sol.
Et Guillaume Dreidemie enroule un long et bouleversant poème autour de blessures fossiles.
Les nôtres ! Les siennes !
Le tout nimbé d’un grand rai de lumière :
« Chercher la lumière.
Ne jamais se confondre avec l’ombre qui se raidit.
Graver une à une les notes de la chanson
Jusqu’au refrain qui vous anime,
Qui vous ranime et laisse bruire
Tous les arbres de votre village, de votre ville, de vos forêts ! »
Guillaume Dreidemie, *Lettres*
La rumeur libre Éditions
Photos ©Guillaume Dreidemie