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Chroniques

*Le chant du silence*

J’ai reçu un livre d’art. Non, pas seulement un livre d’art, j’ai reçu toute une mémoire, son dédale, son «exposition ».

Dedans des photos de trois géographies et de la progression du rythme des images :

– Murmure (Japon)

– Rumeur (Lille)

– Silence (Atelier)

Quelque chose d’inexorable semble se jouer d’emblée dans le titre : *Le chant du silence*. 

 Quelque chose d’inexorable semble se jouer dans la signature de Nadia Anemiche qui confie :

– Tout projet de voyage lointain temporairement impossible. Se réfugier dans l’atelier.

Quelque chose d’inexorable semble se jouer également par le témoignage  de Marie-Hélène Gauthier qui signe quelques photos et qui  légende *Le chant du silence*

Marie-Hélène Gauthier rythme par les mots la cadence de la marche solitaire de Nadia Anemiche. 

Elle la suit de loin, elle la suit de près. Elle la suit à côté comme pour mieux entendre les pas des allers-retours de la mémoire, des souvenirs qui traversent le regard et puis l’arrivée du lointain à la ville, de la ville à l’atelier.

Et c’est dans les mots de Marie-Helene Gauthier, (Un regard d’aube) que nous voyons ce que Nadia regarde, traverse, expose…

Nadia Anemiche marche dans ce Japon tant aimé. Les silhouettes capturées derrière les fenêtres et les portes en verre dépoli sont particulièrement obsédantes. Comme à la fois figées et animées. Comme appelant au secours. 

Captures « capturées » dans un urbanisme géométrique, atone et « vivant ».

 Elle marche aussi dans Lille, sa ville. C’est une autre brume celle de Lille. Les silhouettes sont « familières ». 

Les fenêtres ourlées  d’attente. Les captures « ourlées de tendresse ».

Et puis l’atelier. Peut-être le lieu de la plus grande mobilité. Les objets sont animés. Ils portent racines, identité et se déploient à l’infini entre imaginaire et réalité. C’est le lieu de l’harmonie. Il n’empêche pas ce qui a été. 

Et Marie-Hélène  Gauthier écrit :

« …Et tout comme Apollinaire, Nadia Anemiche, dans la grande élégance de ses photographies flottantes et floutées, mais de si grande force de présence, « sème ses chants comme des graines », des chants du silence, pour semer des graines bruissantes de vie que nous n’avons plus qu’à rejoindre, et à entendre…

LE CHANT DU SILENCE jusqu’au 21 Décembre 2024. Naïshin Gallery Lille

Portes Ouvertes les Vendredis et Samedis de 15h à 18h et sur simple RDV [EXPOSITION] + [PUBLICATION]

Les photos© sont partagées, depuis Nadia Anemiche, pour la Naïshin Gallery Lille

Chroniques

Lieu-dit : *Au Cabaret des oiseaux et des songes*

« Traverser les murs. Déraisonner la géographie. Se munir de l’épée du Temps contre les oublis et célébrer les grâces. Prier pour l’ami afin qu’il s’apaise. Demeurer en équilibre sur un sifflement de geai… »

Et nous reconnaissons l’écriture du grand magicien des mots, de l’équilibriste du temps, du gardien d’un singulier cabinet de curiosités 

Nous reconnaissons Eric Poindron

Cette fois, le « lieu-dit » est un cabaret. *Au cabaret des oiseaux et des songes*

Il y a comme toujours chez l’auteur une invitation au voyage. 

Denis Grozdanovitch, dans sa formidable Préface dévoile un peu de la géographie et des mystères de ce voyage. 

 – Plongez-vous sans tarder dans le merveilleux ouvrage d’Eric le maestro et laissez-vous porter par le sortilège des plus beaux songes…

Et nous  plongeons…

Ce « roman d’escapades » est infiniment beau. 

Nous retrouvons les obsessions d’Eric Poindron : l’enfance, le temps, les amis perdus, les siècles de littérature qui s’entrelacent, les princesses mortes, les fantômes et les papillons…

Nous retrouvons Éric Poindron. L’auteur sait être pudique. Alors il convoque Gilles Lapouge pour nous dire  :

– Je crois que tous les hommes sont faits de même ; la première destination de leurs voyages est leur enfance… » 

Il y a aussi Gérard de Nerval qui lit dans la paume de notre main :

« Et de blancs papillons la mer est inondée »

Et nous revoyons les étranges papillons d’Eric Poindron, nous revoyons ses fantômes et nous l’entendons murmurer :

– C’est un peu de moi-même dans ces terrains vagues où se déploient lentement, et sans mon consentement, les souvenirs de celui que je fus… 

D’autres témoins, traversent aussi ce roman d’escapades. Pascal  Quignard bien sûr, Georges Séféris, Alexandre Dumas, Stevenson, Madame de Sévigné, Ioan Botezãtorul Broascã, et…

Et de temps en temps revient le jeu questionnaire dont l’écrivain est friand :

– Qui est cet être proche que l’on cherche à raconter ? Le silence d’une larme ; le vent dans une confidence…

Et encore le jeu de Collin Maillard et là, Eric Poindron nous aide à trouver au moins un des personnages : 

– Quand j’écris une histoire, sans que je ne le dise à personne, en secret, c’est un peu de moi qui se glisse derrière les mots et je deviens ainsi le personnage clandestin de ma propre histoire.. 

Mais  ce grand poète, cet enfant  de Reims convoque dans ce roman, peut-être plus qu’ailleurs ce père tant aimé. L’homme des promenades. Celui qui continue de son ailleurs de lui faire signe de la main…

Notre érudit, car il l’est, va encore rameuter  les mots des autres, les siens…

Nous entrons dans les dédales de ses bibliothèques intérieures. Dans son monde où chacun est passe-muraille. Nous traversons des pays, des villes. Nous nous allongeons sur des sables d’aurore.

Nous regardons des couchers de lune.

Nous rencontrons des poètes,  des « illuminés » de tous les siècles, des magiciens, des illusionnistes, des gardes fou, des princesses noyées étendues sur un lit de fleurs, des fées qui courent la lande, des hirondelles en vertige au-dessus des vagues et toujours un bateau… pour revenir, pour ne pas naufrager :

– Un bateau vague, brise les veines des eaux de nuit. Ça scintille en noir et blanc, même dans les eaux de nuit et de peine… 

Et nous caressons doucement la très belle couverture du livre. Cette « improbable aurore boréale au Gerbier de Jonc » signée Simon Bugnon.

La neige écarlate est là aussi. Elle porte le sang versé des ballons rouges qui n’ont pu s’envoler…

 Et peut-être qu’Eric Poindron garde au creux de sa main, la petite cicatrice d’une enfance, du fil de cette enfance qu’il n’a jamais su/pu lâcher…

Alors une fois de plus, il nous convie à un festin, il y a autour de la table tous ces écrivains qui ont compté. Il y a des amis disparus qui ont compté. Il y a des mots qui percutent. Il y a son enfance qui danse toujours, il y a cette porte derrière lui, légèrement entrouverte qui lui permet toujours de s’échapper.

Eric Poindron, notre hôte nous convie « par les vents et les tangentes, au cabaret des oiseaux et des songes ».

L’éditeur est « Le Passeur » !

Peux-t-on mieux trouver pour ce festin ? Pour ce voyage ?

Chroniques

Un coup au cœur / À cœur perdu

« Il était 17 h 20 lorsque mon cœur s’est arrêté…

Au huitième électrochoc, mon cœur est reparti… »

C’est l’histoire vraie d’Emmanuelle De Boysson et qu’elle raconte dans *Un coup au coeur* aux Editions Calmann-Lévy

Toute la bataille pour revenir à la vie. Tout ce qui s’est passé lorsqu’elle était  dans le coma. 

Sons et lumières de son EMI (expérience de mort imminente). Cet ailleurs où l’enfance et la jeune fille en fleurs sont toujours intactes. Avec les peines, les joies, les retrouvailles…

Emma raconte aussi  la sortie du coma, la vie qui reprend ses droits avec son cortège de petits riens qui parfois essoufflent.

Hier, j’ai revu l’histoire d’Emma adaptée au théâtre. C’est toujours *À cœur perdu*. C’est toujours l’époustouflante Carmen Vadillo Ruiz qui porte la pièce. C’est toujours au Essaïon Théâtre.

J’avais vu la magnifique adaptation d’Hervé Bentégeat

Hier, j’ai vu *À cœur perdu*  mis en scène  par Véronique Boutonnet.

C’est une expérience extraordinaire de voir deux mises en scène  différentes et si réussies de la même histoire. C’est extraordinaire de voir la comédienne en soliste aussi  bluffante dans les deux versions. 

Et…il est particulièrement émouvant d’entendre dans la salle une femme pleurer doucement, comme dans un souffle. C’est Emmanuelle de Boysson. Elle est à chaque fois submergée au même passage. Celui  qui parle de son père :

« J’aperçois mon père qui m’attend avec son chapeau de randonnée… »

La voix de Carmen est douce en cet instant. Son regard est lumineux. Et Emmanuelle dans la salle est dans cette vulnérabilité si émouvante qui abolit la frontière entre le récit et la scène…

La force de la vie en embuscade nous étonnera toujours. 

Et puis, il y a ce passage où la voix atone de Véronique Boutonnet scande la prise en charge aux urgences. Le rythme accéléré des ordres pour ramener à la vie… 

Epoustouflante chorégraphie de la mort et de la vie qui se joue aux urgences d’un hôpital…

Mais allez entendre, allez voir !

C’est vertigineux…

Chroniques

*Le crépuscule d’un Dieu*

« Il aura fallu trente ans à Michel Canesi médecin et ami de Rudolf Noureev pour écrire ce livre, pour revenir sur cette période de sa vie et raconter cette amitié sincère et profonde avec le « seigneur de la danse». À côté du transfuge soviétique, symbole du monde libre, du danseur flamboyant et du chorégraphe exigeant, se donne à voir un Noureev intime et drôle, sarcastique, fier et doux…

Nous sommes le 6 janvier 1993. Rudolf Noureev vient de mourir des complications du Sida.

Dans la matinée du 12 janvier, le cercueil de Rudolf Noureev fut placé en haut de l’escalier d’honneur. Famille, amis, danseurs, admirateurs plus ou moins proches, officiels, étaient massés en contrebas, aux balcons et sur les coursives. 

Des poèmes furent lus par Patrice Chéreau, et Jack Lang prononça une courte oraison funèbre qui, plus de trente ans après, résonne encore dans ma mémoire : 

– Les astronomes nous disent que les étoiles dans les cieux brillent bien longtemps après leur mort. Que la terre de France vous soit douce, mon cher Rudolf. 

À la fin de la cérémonie, ses danseurs hissèrent le cercueil sur leurs épaules et le transportèrent sur l’esplanade de l’opéra. PuisNous nous rendîmes ensuite en convoi vers le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois pour l’inhumation. 

Le fameux tombeau imaginé par Ezio Frigerio fut scellé quelque trois années plus tard. Ezio ne voulait pas se résigner à l’immobilité ultime de cet être aérien, qui avait incarné l’énergie, le mouvement, et qui, toute sa vie, avait parcouru le monde. Aussi créa-t-il un coffre de voyage dissimulé sous un kilim, ces tapis orientaux que Rudolf affectionnait tant, fabriqué en mosaïque… »*

*Le crépuscule d’un dieu* est un récit beau et poignant. 

Il raconte l’histoire de celui qui ne voulait pas mourir, qui se croyait éternel. Il raconte l’histoire de celui qui s’envoyait des fleurs accompagnées d’un carton avec ces mots :

« From me to me »

Oui, que la terre de France lui soit douce à ce grand fugitif, à cet astre inoubliable…

❤️

* Michel Canesi, *Le crépuscule d’un dieu*, Editions Plon (2024)

Couverture : Le Lac des Cygnes

©️Francette Levieux/Fondation Rudolf Noureev